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L'opinion est-elle vraiment une pensée personnelle ?

Publié le 27/02/2008

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L'opinion désigne une proposition ou un énoncé résultant du jugement d'un individu et qui peut se décliner sous les formes de l'opinion politique, religieuse, ou encore du jugement de goût. Puisque elle émane de ma propre pensée à l'exclusion de toutes les autres, il semble que j'en sois le seul et unique auteur. Ainsi par opposition à l'universalité impersonnelle de la science, mon opinion parait vraiment être une pensée personnelle. Cependant l'opinion révèle souvent que son caractère personnel se réduit à une apparence illusoire : l‘opinion ne se caractérise t-elle pas par des « on dit« . En effet il est de nombreuses opinions dont je crois être l'auteur et dont je ne suis en fin de compte que le récepteur passif. Les deux formes paradigmatiques de cette opinion impersonnelle masquée de personnalité sont le préjugé et l'idéologie. Ainsi si ce qui m'apparaissait comme le plus personnel s'avère en fait le plus impersonnel et le plus anonyme, il est impossible d'affirmer que l'opinion est une pensée personnelle. Pourtant il semble que nous n'avons de personnel que note opinion. Notre problème est donc : l'opinion peut-elle constituer une pensée qui émane de notre seule personnalité ou bien faut-il définitivement renoncer à exprimer notre personnalité au sein de nos opinions ?

« et à se donner pour une opinion personnelle émanant de mon propre jugement.

L'individu est alors victime d'uneillusion qui est d'autant plus difficile à détruire qu'il croit lui-même en la personnalité de ses opinions .

Comme l'écritBlanchot dans l'Entretien infini « se croire à l'abri des idéologies, c'est la pire des idéologies ».

L'idéologie désigne un système d'interprétation sociale qui vient obstruer les consciences individuelles se croyant libres lorsque elles nefont que répéter une leçon apprise malgré elles.

Ainsi la conscience qui se croit libre de penser par elle-même et dedétenir des opinions personnelle est en fait une conscience aliénée c'est-à-dire une conscience qui n'est pas mapropriété, mais la propriété de ce qui est autre que moi : l'état, la société, mon milieu social, ma famille…_ L'impersonnalité envahit toutes mes opinions et cette impersonnalité est d'autant plus insidieuse qu'elle seprésente elle-même comme personnelle.

Ainsi lorsque j'émets un jugement de goût , il me semble affirmer ce qu'il y ade plus intime et de plus exclusif.

Ce que j'aime, je ne l'aime que parce que la me plait et c'est tout.

PourtantBourdieu a bien montré dans son ouvrage la Distinction, une critique du jugement de goût que ce sentiment d'intimité est illusoire.

En effet nos goûts sont dictés par nos habitus, qui désignent des dispositions durables ennous acquises par le conditionnement social.

Derrière tout jugement de goût se cache une stratégie de distinction.Par exemple, lorsque un homme du peuple dit aimer par goût personnel Johnny Hallyday, il ne prend pas conscienceque son goût lui est dicté par le désir de se différencier des classes bourgeoises qui elles-mêmes préfèreraient sansdoute Mozart… Or ce qu'il importe de remarquer, c'est qu'il devient impossible de distinguer mes véritables opinionspersonnelles de préjugés qui se mélangent à elles.

Si je ne suis plus capable de reconnaître ce qui émane vraimentde ma personnalité de ce que j'ai reçu par éducation et par conditionnement social, alors plus aucune de mesopinions ne peut être affirmée avec certitude comme mienne.

Par conséquent l'opinion n'est une pensée personnellequ'en apparence, et elle se réduit au produit de l'ensemble de conditionnements extra personnels.Cependant, s'il n'y a pas vraiment d'opinions personnelles, faut-il renoncer à exprimer sa personnalité dans sesopinions ? Tout le problème repose sur notre sentiment en tant qu'être rationnel que la seule chose qui est vraimentà nous, c' est nos opinions.

Faut-il absolument abandonner le concept d'opinion personnelle ou bien peut-on lesauvegarder ? Et à quelles conditions ? III l'opinion n'est pas toujours une pensée personnelle, mais elle doit le devenir _ Il semble douteux que l'opinion soit jamais personnelle.

Dans l'impossibilité d'en être certain il faudrait renoncer àl'idée d'exprimer sa personnalité dans ses opinions et tenter par le libre examen du jugement d'opérer la critique detoutes mes opinions.

Alors c'est l'exercice de la pensée qui est personnel dans l'acte même de reprise.

Si l'opinionest le champ de l'impersonnel subi, alors il n'y aura de pensée personnelle que par la critique radicale des opinions.C'est le projet que Kant propose par sa célèbre sentence dans sa lettre intitulée Qu'est-ce que les Lumières ? : « sapere aude » c'est-à-dire ose penser par toi-même ! Si l'opinion n'est jamais la mienne avant que je ne la reprenneà mon compte, c'est que c'est l'exercice de la pensée qui constitue le commencement de ce qui m'est personnel.Ainsi Kant définit les Lumières comme « la sortie de l'homme de sa minorité dont il porte lui-même la responsabilité ».Mais en quoi le fait de recevoir passivement les opinions constitue t-il un état de minorité et quel est-il ? « Laminorité est l'incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui ».

Tant que nous n'accomplissonspas les critiques des opinions que nous croyons nôtres alors qu'elles sont étrangères à notre esprit, alors nouslaissons autrui nous commander.

Or comme l'explique Kant, nous avons notre part de responsabilité dans cettealiénation.

En effet, une fois que nous sommes devenus des majeurs naturels par la possibilité de subvenir seuls ànos besoins, nous restons des mineurs intellectuels si nous nous reposons sur ses opinions qui nous viennentd'autrui.

Cet état de minorité intellectuelle réside en effet non pus dans l'insuffisance de l'entendement commelorsque nous étions enfants, mais dans l'absence de courage.

Ainsi il n'y a de pensée personnelle que par une reprisecritique de nos opinions résultant d'un acte de courage émanant de la personne elle-même.

« Aie le courage de teservir de ton propre entendement » telle est la devise des Lumières._ Cependant suffit-il qu'un individu accomplisse la critique de ses opinions pour que sa pensée soit personnelle ?Elle est personnelle en ce que l'acte de reconquête de soi trouve son origine dans la volonté d'un moi, mais pas entant qu'elle permettrait l'expression de la personnalité.

La pensée semble en ce sens être par essence dénuéed'individualité.

En effet la pensée se fonde sur la raison qui, si elle est également partagée entre les hommes,constitue néanmoins une faculté universelle.

Aussi en tant que la pensée s'appuie sur la raison, elle a pour chargede nous libérer de l'illusion du caractère personnel de nos opinions.

Néanmoins sa tâche est entièrement négative,elle évacue tout le personnel pour le remplacer par ce que la raison nous dicte.

Or si la pensée tente de dépassertout ce qui est personnel, c'est parce qu'elle cherche à accéder à la vérité.

Une vérité n'est vraie qu'en tant qu'elleest impersonnelle : quelle serait en effet la validité d'une vérité qui se limiterait à une seule personne.

Par exemple,j'ai beau affirmer que pour moi 2+2= 5, la portée de cette prétendue vérité ne convaincra personne.

Ainsi il n'y apas vraiment de pensée personnelle.

La pensée est impersonnelle ou n'est pas._ S'il n'y a pas de pensée personnelle en tant que telle, ne peut-on alors penser la possibilité d'opinionspersonnelles ? Si nous n'avons en dernière instance de vraiment personnel que nos opinions qui sont plusindividuelles peut-être que notre corps, à quelles conditions une opinion vraiment et non seulement apparemmentpersonnelle serait-elle possible ? Une opinion ne peut être personnelle que si elle émane directement d'un acte dereprise critique : peu importe sa source, la reprise critique permet au jugement individuel de se la réapproprier.

Maisalors cette opinion ne prétend t-elle pas accéder à une universalité qui lui arracherait tout caractère personnel ? Ilfaut répondre par la négative : certains postulent que par leur opinion ils peuvent prétendre accéder à la vérité.

Orils ne savent même pas si la vérité existe, ou même si l'homme est capable de connaître comme le montre Montaignedans ses Essais (II, 12).

L'homme ne sait pas en effet si sa définition le rend capable de connaissance : « qui ne s'entend en soi, en quoi se peut-il entendre ? ».

Aussi puisque il est impossible de savoir si l'homme est capable devérité, il vaut mieux traiter toutes les opinions comme de simples opinions : « nous sommes chrétiens au même titreque nous sommes périgourdins ».

En ce sens il n'y a plus d'obstacle pour constituer une opinion personnelle :puisque il n'y a de toutes manières que des opinions, la tentative de penser par soi-même désigne l'exigence. »

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