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L'oeuvre d'art est-elle le produit d'un travail ?

Publié le 05/11/2009

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Les artistes eux-mêmes témoignent de la réalité du travail. Ils ont tout d'abord longuement été confondus avec les artisans. Les artistes ne sont-ils pas, au moins en partie, responsables de cet oubli fréquent? Lorsqu'au XVIé siècle, les peintres réclament de ne plus être confondus avec les artisans, le résultat n'est-il pas l'occultation de leur part laborieuse, au profit de l'exaltation d'une création individualisée que va symboliser leur signature? Le terme grec technê, désignant toute forme de savoir-faire, englobait en effet potiers et sculpteurs ou peintres. Et la poésie (poiêsis) est d'abord en relation avec poiein ("faire produire". L'anonymat de plus anciennes oeuvres grecques confirme l'appartenance première de ce que nous nommons "oeuvres d'art" à une production plus générale, encore mal distinguée de l'artisanat.

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« Mais ils témoignent de l'existence d'un travail intellectuel.

Les peintres de la Renaissance ne nient cependant pasqu'ils effectuent un travail: ils le veulent plus "libre", moins répétitif, et surtout orienté vers l'intellect.

La formule deVinci: "La peinture est chose mentale" signifie, non que l'aspect matériel de la peinture importe peu, mais qu'ilintroduit à un idéal, ou qu'il n'emprunte au visible que pour mener vers un monde qui ne lui appartient plus.

Mais detelles références à un véritable travail intellectuel de l'artiste, pour justifiées qu'elles soient, empêchentéventuellement que soit pris en considération son travail sur les matériaux.

Elles s'inscrivent de surcroît dans uneorganisation sociale ou la différence entre travail intellectuel et travail manuel est de plus en plus perçue au seulbénéfice du premier, qui finit par apparaître comme n'étant pas un "vrai" travail.Cependant, le travail intellectuel est une réalité dans l'art.

Qu'il puisse pourtant être aussi "douloureux" que le travailmanuel, les artistes ne cessent d'en témoigner.

Il suffit de voir les manuscrits de Flaubert ou de Proust pourcomprendre aussitôt que l'écriture n'a rien d'amusement.

Valéry disait plaisamment qu'en poésie, le premier vers estde l'inspiration mais les suivants sont de la transpiration.

Transformer le matériau exige des efforts, sans doute peuphysiques dans le cas de l'écriture, mais qui confirment l'éventuelle pénibilité du travail artistique.

Les objectionsrestent nombreuses: l'art est peut-être un travail, mais ses conditions ne sont quand même pas comparables àcelles d'un ouvrier à la chaîne.

Les artistes disposent de leur emploi du temps, ils ne sont pas soumis aux cadencesinfernales, et ils font quand même ce qu'ils veulent ou ce qu'ils aiment.

On veut bien reconnaître qu'ils travaillent,mais d'une façon bien étrange.

D'ailleurs, leurs oeuvres, quelle que soit la peine qu'ils ont pu avoir à les mettre aupoint, sont-elles des produits comme les autres? L'oeuvre n'est pas un simple produit.

Tout d'abord, l'oeuvre est une manifestation sensible d'une idée.

Endéfinissant l'oeuvre d'art comme la "manifestation sensible d'une idée", Hegel équilibre aspect matériel et aspectintellectuel du travail artistique.

Inscrire une idée dans le sensible suppose une modification de ce dernier (desmatériaux), mais aussi qu'il ne soit là que pour diriger la pensée vers autre chose.

Il suffit de comparer cetterichesse avec ce que propose un produit du travail ordinaire pour constater qu'elle ne peut lui être assimilée.

Outreque le simple produit doit être utile, alors qu'il n'y a dans l'oeuvre pas d'autre finalité qu'intrinsèque, comme le disaitKant, on voit aussi que le produit peut être fabriqué en grand nombre (en série), alors que l'oeuvre d'art est réputéeunique (si elle ne l'est pas toujours, elle n'existe qu'en un nombre restreint d'exemplaires).

Ce qui fait, au moins enpartie, sa valeur, et nécessite qu'on la préserve.De plus, l'oeuvre échappe à le consommation.

La production, notamment industrielle, satisfait (et suscite) lesbesoins de la consommation: son utilité à court terme la condamne à disparaître.

On arrête la fabrication d'unproduit qui ne rencontre pas le succès espéré, qu'il s'agisse d'une boisson gazeuse ou d'une automobile; mais onaugmente celle d'un produit qui trouve un public de plus en plus vaste.

Dans un cas comme dans l'autre, on obéit àune double nécessité: combler les besoins (spontanés ou fabriqués, peu importe) et profit économique.

L'oeuvred'art n'est pas soumise à de telles conditions: lorsqu'elle apparaît, elle peut ne pas avoir de public, mais sonéventuel succès ne modifie pas son existence (le succès peut modifier son prix, mais ce dernier n'a pas grand choseà voir avec sa valeur artistique).

Dans La Condition de l'homme moderne , Hannah Arendt oppose fortement le produit du travail et l'oeuvre: le premier, parce qu'il ne peut que confirmer le cercle production-consommation, est simple"consentement à la nature" puisqu'il est lié à la sphère des besoins et à la satisfaction rapide.

Au contraire, l'oeuvrenous délivre (momentanément) de la nécessité, puisqu'elle est "inutile".Enfin, l'oeuvre n'est pas soumise au temps comme le produit.

Défini par sa fonction, le produit est à la fois situéhistoriquement et restreint à une seule signification.

Retrouver un produit ancien, c'est découvrir un document (surles techniques de fabrication, les matériaux utilisés, l'insuffisance du design...) Découvrir une oeuvre ancienne, c'estrencontrer des possibilités de signification qui excèdent de très loin la portée documentaire.

C'est qu'il y a dansl'oeuvre d'art, précisément parce qu'elle est mise en forme d'un matériau, une capacité polysémique, qui est aussicelle d'échapper à son époque: même relative, puisque son aspect matériel peut avoir subi des dégradations.

Maisune oeuvre dégradée est conservée, alors qu'un produit dégradé n'est plus bon à rien.

Il est utile de souligner l'existence d'un authentique travail dans l'art, ne serait-ce que pour dénoncer lesmythologies de l'artiste "doué", "insouciant" ou loin du monde, et ce, même si son travail est très particulier puisque,tout en concernant un matériau, il y importe un aspect spirituel qui fait défaut à la production du travail ordinaire.Quant à l'oeuvre, elle s'écarte du produit, non seulement parce qu'elle n'est pas destinée à la consommation, maissurtout parce qu'elle est durablement porteuse d'un sens ouvert aux interprétations.. »

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