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L'imagination n'est-elle qu'une maîtresse d'erreur ?

Publié le 20/06/2009

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Les diatribes éloquentes de Pascal contre l'imagination sont dans toutes les mémoires. Il faut dire aussi qu'il n'en a pas le monopole. On trouverait des propos analogues sous la plume de Malebranche. D'une manière générale, l'imagination n'a pas très bonne presse, si l'on peut dire, auprès des penseurs et des moralistes du XVIIe siècle, et Pascal la définit expressément comme « ennemie de la raison «. Dans les œuvres modernes, au contraire, on parle de l'imagination sur un tout autre ton. D'abord, on s'est habitué à entendre louer l'imagination du poète, du romancier, de l'artiste en général. Jusque-là, il n'y aurait pas lieu de trop s'étonner. Aux yeux de certains esprits sévères, il y a quelque chose de suspect dans toutes les créations de l'art. On les considère comme les produits d'une sorte de jeu, et sans doute dangereux. Ce sont des œuvres de fantaisie. (Оr, justement, dans la langue classique, le mot « fantaisie « est souvent pris comme synonyme d'imagination.) Rien de très surprenant, dès lors, à ce qu'on explique par l'imagination cet empire fallacieux des œuvres d'art sur l'esprit. Mais ce n'est pas la création artistique seulement que l'on attribue à l'imagination. On parle encore d'imagination à propos des travaux du savant, à propos des inventions du mathématicien, des découvertes du physicien ou de l'astronome. On entend aussi souvent stigmatiser le manque d'imagination de tel chef militaire ou de tel homme d'État, et expliquer par là leurs échecs ou leur inefficacité. Ainsi a-t-on beaucoup parlé du manque d'imagination de l'État-Major français à propos du désastre de juin 1940. Ainsi, l'imagination apparaît-elle maintenant comme une valeur de premier rang tant sur le plan spéculatif que sur le plan pratique. Et nous découvrons cette fois une contradiction manifeste entre les deux points de vue. Il n'est pas possible, quand on parle de l'imagination, de lui attribuer à la fois toutes les erreurs, toutes les aberrations de l'espèce humaine, et toutes les manifestations, toutes les réussites du génie humain. C'est le point de vue des classiques, ou c'est le point de vue des contemporains qui est marqué de quelque absurdité. A moins peut-être qu'ils n'aient pas mis les uns et les autres sous le mot imagination exactement la même chose. A moins que de Pascal jusqu'à nous le sens du mot n'ait évolué jusqu'à se transformer complètement et, en quelque sorte, se dédoubler.

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« reproduction artificielle au Palais de la Découverte.

Nul donc n'a jamais pu vérifier directement la validité de telle outelle hypothèse.

Nul n'a jamais vu la Terre tourner autour du Soleil.

Et tout le monde peut « voir » au contrairechaque jour le Soleil tourner autour de la Terre.

Notre système est donc, au sens que nous avons indiqué, unproduit de l'imagination, une construction de l'esprit.

Ou, si l'on préfère, une hypothèse.

Mais, cette hypothèsepermettant d'expliquer une multitude de faits observés, et d'en prévoir d'autres, indéfiniment et rigoureusement,nous considérons la structure de l'univers qu'elle nous présente comme vraie, à l'encontre de celle que les donnéessensibles paraissent nous imposer.Qu'est-ce donc que l'imagination scientifique? A peu près exactement, nous semble-t-il, le contraire de ce quePascal et Malebranche vilipendent sous le nom d'imagination.

Pour s'accomplir et s'imposer, l'invention scientifiquedoit triompher de la routine, des associations d'idées invétérées, du prestige des « autorités », du préjugé renforcépar des traditions séculaires.

Elle doit enfin se substituer à la perspective sensible que, spontanément, nousconsidérons comme seule réelle, parce qu'elle est seule immédiate, parce qu'elle est seule donnée.

Elle doittriompher à peu près de tous les éléments qui constituent l'imagination pascalienne.N'a-t-on pas dit d'ailleurs maintes fois que le propre de l'esprit scientifique, est de savoir s'étonner à propos ? C'est-à-dire que là où l'imagination (= représentation sensible et associative) ne s'étonne pas parce que les impressionssensibles se succèdent dans un ordre que des connexions réitérées ont rendu familier, et que tout par conséquentlui semble « aller de soi », la pensée, elle, s'étonne.

Car elle imagine un ordre des faits non plus seulement constant,mais nécessaire et intelligible, qui n'apparaît pas immédiatement dans les faits.

Quelques lignes de Descartes dansune lettre à Mersenne nous permettent d'illustrer ce point : « ...je suis devenu si hardi, lui dit-il, que j'osemaintenant chercher la cause de la situation de chaque étoile fixe.

Car, encore qu'elles paraissent fortirrégulièrement éparses çà et là dans le ciel, je ne doute point toutefois qu'il n'y ait un ordre naturel entre elles,lequel est régulier et déterminé ».

Aucun autre texte peut-être ne nous montre mieux comment l'imaginationscientifique s'affirme par le démenti qu'elle impose à l'imagination au sens pascalien, c'est-à-dire à une perspectivequi est celle des sens et de l'habitude. * * * « Cette superbe puissance, ennemie de la raison...

», dit Pascal à propos de l'imagination.

Mais l'imaginationscientifique, l'imagination au sens où les modernes entendent ce mot (et que l'on pourrait pour plus de clarté appeler: invention), c'est la raison elle-même en tant qu'elle est capable, non plus seulement de s'assimiler les découverteset les pensées d'autrui, anciennes ou récentes, mais d'en mettre au jour elle-même de nouvelles.

Elle est un autrenom de l'activité de l'esprit, tandis que l'imagination pascalienne représente sa passivité.Ce que nous disons ici de l'imagination-invention dans la science peut s'étendre à d'autres domaines.

La valeur d'uneimage poétique ne tient-elle pas à ce qu'à l'instant même où elle nous étonne parce qu'elle est nouvelle, parcequ'elle est insolite, nous la reconnaissons cependant comme vraie, et elle fait pâlir tous les « clichés ».Si les techniciens militaires en 1940 ont manqué d'imagination, n'est-ce pas qu'ils ont été incapables de concevoir lapossibilité d'un autre ordre de combat que celui qu'ils s'étaient habitués à voir se développer sur les champs debataille de 1918, dans îles conférences de l'École de Guerre et sur les terrains de manœuvres ?Il est donc certain que l'imagination n'est pas seulement une maîtresse d'erreur.

Il est certain aussi qu'elle n'est pasà la fois maîtresse d'erreur et caractéristique essentielle du génie humain.

Il y a deux imaginations.. »

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