Lévinas et la relation à autrui
Publié le 17/04/2009
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L'argumentation de l'auteur peut être décomposée en trois étapes successives, très clairement ordonnées. Dans un premier temps, du début du texte à « ... le commun de la communion «, Lévinas présente le préjugé courant selon lequel le modèle de la relation à autrui serait celui de la « communion «. Il n'adhère pas à cette thèse mise à distance de sa pensée par l'expression « on pense que «, qui renvoie également à une généralité, à un préjugé courant. Dans un second temps, de « À cette collectivité... « jusqu'à « ... asymétrique «, il affirme et développe explicitement sa thèse tout en critiquant le préjugé précédent: la relation authentique à autrui se produit dans le face-à-face sans médiation. Il en résulte une approche paradoxale de la proximité, qui fonde pourtant le désir vis-à-vis d'autrui, comme il le précise enfin de « L'intersubjectivité n'est pas... « à la fin du texte.
«
«grégaire»: « La foule, lorsque nous la considérons comme un tout, montre bien davantage; les signesd'affaiblissement du rendement intellectuel et de désinhibition de l'affectivité, l'incapacité de se modérer etde temporiser, la tendance au dépassement de toutes les limites dans l'ex-pression des sentiments et à leurdécharge totale dans l'action, ceci et toutes choses analogues [...] donnent une image évidente derégression de l'activité psychique à un stade antérieur...
» Nous ne pouvons donc pas dire qu'il s'agit làd'une relation fondamentalement humaine, teintée de mesure, de raison, de culture et de raffinement.
Lesdynamiques collectives reconduisent plutôt à des tendances animales ou pulsionnelles que l'éducation tentede réorienter vers des buts plus élevés.
II paraît donc difficile de les prendre pour modèle de la relation àautrui.
[3.
Dépersonnalisation et anonymat]D'autant plus que cette relation engendre une sorte de dépersonnalisation et d'anonymat.
Si on considèreune «communauté qui dit "nous" », personne ne dit plus «je », on ne sait plus qui parle et au nom de quoi.Or, si le « nous » peut donner un sentiment de solidarité et de force collective, il présente aussi uncaractère trompeur: il existe toujours un individu ou un groupe pour utiliser le « nous » à leur profit.
D'autantplus que, chacun étant pour ainsi dire « dépossédé » de sa parole propre (en ne disant plus « je »), il estaussi déresponsabilisé dans sa pensée et dans ses actes: ce n'est plus « moi » en personne qui ait àassumer ce que je dis et ce que je fais, c'est un « nous » assez indéterminé.
II en résulte alors aussi unerégression sur le plan moral, chacun renvoyant aux autres une responsabilité qu'il devrait assumer en propre.Par exemple, on sait que, lorsque quelqu'un se fait agresser, voire violer dans un lieu public, il arrive souventque personne ne vienne à son secours.
Chacun se dit que c'est l'autre qui pourrait intervenir et, du coup,personne ne fait rien: c'est un phénomène de dilution de la responsabilité, tout à fait scandaleux sur le planmoral bien que très réel du point de vue psychologique.
Or, là encore, il n'y a pas de rencontre de l'autre: on« sent l'autre à côté de soi et non pas en face de soi ».
C'est le cas pour ceux qui regardent ensemble uneagression sans intervenir.
Il suffira peut-être que deux d'entre eux cessent d'être fascinés par le « spectacle» et paralysés, qu'ils se regardent dans les yeux, pour que ce contact les rappelle à l'ordre et les amène àse dire, implicitement ou explicitement : « Intervenons! »
[4.
L'évitement de soi dans le « troisième terme »]Enfin, les phénomènes collectifs conduisent également et corrélativement à éviter d'avoir à être soi-même.
IIn'est pas si facile d'assumer sa différence par rapport aux autres, sa singularité.
On peut donc préférertrouver un terrain quinous rassemble, qui nous unit, qui nous rassure, en nous donnant le sentiment d'appartenir à une mêmechose.
D'où ce recours à un « troisième terme », « personne intermédiaire, vérité, dogme, oeuvre,profession, intérêt, habitation, repas ».
Un chef politique charismatique, qui fascine les citoyens, peutrapidement devenir une source d'identification collective, ce qui n'est pas sans dangers comme l'a montrél'histoire à de multiples reprises.
On peut également se regrouper autour d'une vérité qui, si elle est acceptéecomme telle sans discussion ni critiques, devient vite un dogme: il peut être religieux mais aussi racial,social, politique, culturel...
Par exemple, celui des amateurs de musiques électroniques, qui se reconnaissententre eux et s'identifient à un groupe et à un mode de vie tout en excluant les autres.
Le troisième termepeut également être trouvé dans la profession : on s'identifie alors à une équipe, à un projet, à uneentreprise ou à une marque.
Il peut aussi s'agir des gens du quartier, par opposition avec les autresquartiers, etc.
Or, dans tous ces cas, nous évitons de nous confronter à nous-mêmes, de considérer ce quinous différencie radicalement des autres, aussi proches soient-ils.
Car ils ne sont jamais moi jusque dansmes particularités les plus intimes, jusque dans ma singularité, et je ne suis jamais eux jusqu'au bout.
[II.
La relation authentique à autrui dans le face-à-face]
Il s'agit donc de trouver un autre mode de relation avec l'autre, qui permette à la fois de le rencontrerréellement, de le considérer vraiment comme « autre » à tous les sens du terme, ce qui passe aussi par lefait d'être véritablement soi et non seulement la partie d'un tout dans lequel on se fond indistinctement.
[1.
Le face-à-face sans intermédiaire]D'où l'idée de concevoir la relation à autrui non pas comme une « collectivité de camarades » mais plutôtcomme une « collectivité du moi-toi ».
D'ailleurs, le terme même de « collectivité » semble ne plus convenirtout à fait dans le deuxième cas, tant il renvoie à un terrain commun, à une communauté, qui n'a plus lieud'être dans la relation directe « moi-toi ».
S'il subsiste une sorte de terrain « commun », indispensable à larencontre, mieux vaut le désigner, comme le fait plus loin Lévinas, comme un « espace intersubjectif ».
Ils'agit d'un « espace » virtuel qui existe entre deux sujets humains, entre deux subjectivités, entre deuxpersonnes humaines.
Et, surtout, cet espace est « vide », il n'est pas rempli a priori par un troisième termedéjà formé et qui empêcherait la rencontre en remplissant l'intervalle par un élément commun.
Par exemple,lorsque nous discutons avec quelqu'un, en particulier un inconnu, nous créons un espace intersubjectif danslequel prend place l'échange mais où il n'existait rien au départ de déjà construit.
De même, lorsque nousregardons quelqu'un qui nous regarde aussi, nous nous plaçons dans un espace intersubjectif où deuxsubjectivités se rencontrent sans que rien ne fasse obstacle aux deux regards et aux deux visages, exposésl'un à l'autre.
Mais il en résulte alors « le face-à-face redoutable d'une relation sans intermédiaire, sansmédiation ».
Impossible de se réfugier derrière un « nous », derrière un groupe ou une idéologie.
Il s'agitmaintenant d'être soi.
Et de considérer l'autre pleinement, avec toutes ses différences, et surtout tout cequ'il recèle d'inconnu, de mystère, de promesses et de menaces.
C'est en cela que le face-à-face est «.
»
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