Devoir de Philosophie

Les Classiques en sculpture

Publié le 26/02/2010

Extrait du document

On a tellement pris l'habitude d'opposer, en sculpture, le Classique au Baroque et de ne considérer ces styles que l'un par rapport à l'autre, que les vrais problèmes posés par l'existence d'une culture classique moderne ont disparu. Le classicisme ne saurait être considéré comme un simple état de la vie des styles, intermédiaire entre la gaucherie féconde du primitivisme et le surgissement créateur du baroque. Il ne marque pas un temps d'arrêt dans un processus éternel d'invention qui engendre régulièrement des formes les unes à partir des autres ; il n'est pas le moment admirable mais infécond où une société se délecte à agencer des formes reçues. Le Classicisme n'est donc pas une époque intercalaire entre une Renaissance prolongée par l'imagination poétique des Baroques et un Romantisme généreusement nourri de la poésie jaillissante des jeunes nations. Les difficultés d'appréciation que nous rencontrons aujourd'hui lorsqu'il s'agit de comprendre et de juger le classicisme, sont, cependant, le produit des circonstances historiques à travers lesquelles se sont développées l'histoire de l'art et l'esthétique depuis un siècle et qui ont abouti à cette double apologie, d'ailleurs contradictoire, des constantes historiques et de l'art spontané. Le classicisme porte, d'abord, la peine d'un trop grand prestige, et d'avoir engendré, à un moment donné, au XVIIIe siècle, trop d'imitations. Vers 1750, l'Europe était vraiment toute française. Il n'était pas de prince, grand ou petit, qui n'imitât Versailles ; on ne voyait Rome même qu'à travers le goût parisien. D'autre part, au temps de Mme de Pompadour, le courant vivant de l'art français ne coïncidait plus, comme il se doit, avec l'enseignement de l'École. Au XVIIIe siècle, au moment de la plus grande diffusion du classicisme français, ni ceux qui l'imitaient ne le comprenaient, ni, en France même, il n'était plus l'art vivant. Ainsi, par un double phénomène, le malentendu naquit, qui devait faire confondre le classicisme avec l'académisme et laisser perdre de vue qu'à un moment donné, au XVIe et au XVIIe siècle, le classicisme avait été chose vivante par les Français.

« Sansovino, voire Notke ou Sluter.

Et pourquoi pas alors Schlüter, Algarde, ou Duquesnoy ? Sans parler du fait que,pour les artistes qui ne sont pas du tout premier rang, la limite est souvent impossible à tracer entre les tendancesclassiques et baroques.

Et que, même parmi les hommes du premier plan, il devenait impossible de choisir.

NiBouchardon, ni Pigalle, ni Falconet, ni Caffiéri ne figurent dans ce chapitre.

Cependant, si l'on se plaçait dansl'absolu de la création, tous ont produit quelques ouvrages qui, isolément, trouveraient place dans le Panthéon deschefs-d'oeuvre. Si, finalement, on s'est borné à quatre artistes ou monographies collectives, c'est en tenant compte du parti généralqui a présidé à l'établissement de cet ouvrage.

On ne s'y est point proposé, en effet, comme il a été dit, desélectionner les cent chefs-d'oeuvre de la sculpture universelle.

On a voulu montrer les principales phases de lacréation plastique à travers l'histoire et, dans cette perspective, ce sont les oeuvres qui innovent, celles quilaissent comprendre la formation d'un système, qui comptent.

Or, il est de fait que, de ce point de vue, ni lesouvrages où se peuvent apercevoir des éléments utilisés dans un contexte différent, antérieurement à l'époque oùun style se définit en tant que tel, ni ceux où s'amorce une routine, voire simplement une sorte de certitude quilaisse plus de place à l'invention du détail qu'à la constitution d'un ordre inédit, n'ont place dans notre étude.

On nedoit jamais perdre de vue que la création plastique est brusque et volontaire.

Car il ne s'agit aucunement d'unagencement d'éléments préexistants, mais de la découverte d'un point de vue qui commande non l'élaborationrationnelle mais la création proprement dite, inséparable de l'exécution matérielle des chefs-d'oeuvre. Sans vouloir forcer la comparaison, et étant bien entendu qu'il y a autant de différence entre Praxitèle et Coysevoxqu'entre Racine et Euripide, on dira seulement que le classicisme du XVIIe siècle a eu, comme la Grèce, le désir derecréer la figure humaine pour l'éternité.

Qu'il a voulu traduire dans des rythmes l'ordre d'une pensée.

Qu'il a vouluécarter tout mouvement violent et tout pathétique du sentiment pour exprimer la joie la plus haute qui puisse êtreatteinte par un être humain, la sérénité.

La sculpture classique est une haute discipline des sens et de l'esprit.

Elleincarne réellement à la fois une culture érudite et la somme des valeurs à la fois rationnelles et morales qui ont étéexaltées par l'effort commun des générations auxquelles on doit, à travers les troubles d'une histoire marquée par leserreurs ordinaires de la folie humaine, l'affirmation des mérites supérieurs de la raison. Pour comprendre combien la sculpture classique est liée aux déchirants efforts des élites européennes qui, dans letemps du fanatisme religieux et politique, ont préparé la revanche fragile des valeurs réellement humaines, il ne suffitpas de vouloir déchiffrer des allégories fanées.

Le secret de l'art classique, ce n'est pas d'avoir demandé des thèmeset des formules au passé.

C'est d'y avoir trouvé un appel.

Sous le latin de l'orthodoxie romaine, les hommes duGrand Siècle ont deviné des êtres fragiles et contraints comme eux à s'exprimer d'une manière indirecte.

Tandis queles Baroques disaient avec violence des choses imposées, les classiques suggéraient des notions plus pures, quiengageaient l'homme à méditer plus qu'à agir.

Or, l'action triomphante s'épuise rapidement et ce sont les méditatifsqui découvrent finalement les points de vue dominants.

Le passage des sculpteurs de Versailles, à Coysevox et àHoudon illustre cet engagement supérieur de la méditation classique dans l'existence.

Les hommes qui ont décoré lesjardins de Versailles ont joué un rôle égal, dans la formation et dans la diffusion du rationalisme, à celui desphilosophes, des savants et des juristes.

Ils ont même été des premiers à passer du plan de l'allégorie d'école à unapprofondissement de la nature humaine.

Ils ont eu le sentiment de l'incarnation possible dans la matière de toutesles qualités, aussi bien intellectuelles que morales.

Ils ont su s'exprimer depuis le familier jusqu'au grandiose, mettantau coeur même d'un décor éphémère le germe des temps à venir.

Ils ont été psychologues autant que La Fontaine,humains comme Molière.

Ils ont peint leur entourage sous les habits de la fable et il y a dans leurs ouvrages deséchos de la vie bourgeoise autant que des plaisirs de la cour.

Le miroir du Grand Siècle renvoie l'image du souverainmais aussi celle de ces ateliers parisiens où fut exécuté le moindre fragment destiné à Versailles, tout de même queles cathédrales disent à la fois les certitudes des sphères officielles et la lutte patiente des foules pour assouplir lesordres établis. Tandis que le Baroque exprimait le besoin qu'a toute société de demander aux arts la satisfaction de ses illusions,les classiques élaboraient un système de signes qui fut un véritable langage inédit et qui ne visait pas uniquement àla répétition d'une formule de Beauté, empruntée à l'antique.

Leur but était la matérialisation d'un système dequalités, aussi bien dans le domaine de la technique que dans celui de l'expression.

Ce sont leurs successeurs duXVIIIe siècle qui ont substitué à cet idéal d'élaboration d'un langage plastique calqué sur les préoccupationscritiques de leur temps la répétition fade des types.

Les classiques ont atteint l'humain ; ils n'ont pas paraphrasédes formes sans âge.

Rien n'est plus loin d'eux que Winckelmann et Thorwaldsen.

Et il n'a pas paru utile de prévoir,dans un ouvrage consacré à la création plastique, une section pour l'académisme. L'heure est sans doute venue de repenser le classicisme, autrement que comme un baroque remanié ou comme uneformule immuable.

On ne peut comprendre le classique hors d'une histoire renouvelée de la société française duXVIIe siècle, en conflit avec ses autorités et avec son entourage et jetant les premiers jalons de l'aventuremerveilleuse qui a fait, dans les deux siècles qui suivent, la grandeur et le triomphe de l'idéal universaliste dessociétés européennes. Le succès du Baroque a été lié, depuis cinquante années, au triomphe des philosophies du doute et de la facilité.Apologies commodes de l'instinct et de l'action irréfléchie.

Les temps ne sont peut-être pas éloignés où l'oncomprendra les vertus d'un art qui s'est accommodé de toutes les contraintes, matérielles et morales, pour exprimerun idéal où triomphe la toute-puissance de l'esprit ordonnateur des ensembles.

Il ne saurait être question d'unretour à des formes irrémédiablement vécues, mais d'un enseignement où se découvre, dans la vie, un moded'insertion de la pensée dans la matière.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles