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Leibniz: Dieu ne fait rien hors de l'ordre et il n'est pas même possible de feindre des événements qui ne soient point réguliers.

Publié le 17/04/2009

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«Dieu ne fait rien hors de l'ordre et il n'est pas même possible de feindre des événements qui ne soient point réguliers. Les volontés ou actions de Dieu sont communément divisées en ordinaires ou extraordinaires. Mais il est bon de considérer que Dieu ne fait rien hors d'ordre. Ainsi ce qui passe pour extraordinaire ne l'est qu'à l'égard de quelque ordre particulier établi parmi les créatures. Car, quant à l'ordre universel, tout y est conforme. Ce qui est si vrai que, non seulement rien n'arrive dans le monde qui soit absolument irrégulier, mais on ne saurait même rien feindre de tel. Car supposons, par exemple, que quelqu'un fasse quantité de points sur le papier à tout hasard, comme font ceux qui exercent l'art ridicule de la géomancie. Je dis qu'il est possible de trouver une ligne géométrique dont la notion soit constante et uniforme suivant une certaine règle, en sorte que cette ligne passe par tous ces points, et dans le même ordre que la main les avait marqués. Et si quelqu'un traçait tout d'une suite une ligne qui serait tantôt droite, tantôt cercle, tantôt d'une autre nature, il est possible de trouver une notion, ou règle, ou équation commune à tous les points de cette ligne, en vertu de laquelle ces mêmes changements doivent arriver. Et il n'y a, par exemple, point de visage dont le contour ne fasse partie d'une ligne géométrique et ne puisse être tracé tout d'un trait par un certain mouvement réglé. Mais quand une règle est fort composée, ce qui lui est conforme passe pour irrégulier. Ainsi on peut dire que, de quelque manière que Dieu aurait créé le monde, il aurait toujours été régulier et dans un certain ordre général. Mais Dieu a choisi celui qui est le plus parfait, c'est-à-dire celui qui est en même temps le plus simple en hypothèses et le plus riche en phénomènes, comme pourrait être une ligne de géométrie dont la construction serait aisée et les propriétés et effets seraient fort admirables et d'une grande étendue. Je me sers de ces comparaisons pour crayonner quelque ressemblance imparfaite de la sagesse divine, et pour dire ce qui puisse au moins élever notre esprit à concevoir en quelque façon ce qu'on ne saurait exprimer assez. Mais je ne prétends point d'expliquer par là ce grand mystère dont dépend tout l'univers.» Leibniz, Discours de métaphysique, § 6

Cet article s'ouvre sur la présentation d'un point de vue courant : la division des actions de Dieu en ordinaire et extraordinaire. C'est précisément cette division qu'il s'agira de remettre en question dans ce texte. En désignant les « volontés ou actions de Dieu «, remarquons que Leibniz ne marque pas par la conjonction « ou « une disjonction entre les deux termes, mais une stricte équivalence. En effet, comme Leibniz en a convenu à l'article 1, Dieu est un être parfait possédant toutes les perfections au plus souverain degré. Il est tout puissant pour cette raison, il ne peut vouloir quelque chose sans que cette chose advienne aussitôt. Ce n'est bien sûr pas là réduire sa liberté, mais la porter à son plus haut degré. Par « volontés ou actions de Dieu «, nous pouvons ainsi entendre l'ensemble des phénomènes se présentant à nous, en tant que tout phénomène est action et volonté de Dieu. Extraordinaire n'est pas ici, bien entendu, à prendre dans son sens figuré, de ce qui suscite l'admiration, mais dans son sens premier. L'extraordinaire ne désigne pas les seuls miracles, tel les noces de Cana, mais plus généralement tout ce qui échappe aux régularités, à l'ordre. Ainsi, les monstres apparaissent aussi comme extraordinaires. Après avoir énoncé cette distinction commune, Leibniz introduit la conjonction de coordination « mais «, marquant sa réserve: il est bon, dit-il, de considérer que Dieu ne fait rien hors d'ordre. Il remet ainsi en question l'un versant de la distinction présentée plus tôt. Il n'y aurait rien de tel que des actions extraordinaires de Dieu et toutes ses actions seraient soumises à l'ordre. Mais nous aurions tort de ne lire dans cette seconde phrase qu'une affirmation péremptoire: Leibniz ne dit pas « il est vrai que «, mais bien « il est bon que «. En quoi cela peut-il être bon de considérer que Dieu ne fait rien sans ordre ?

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« contraire à sa gloire, puisque cela reviendrait à convenir qu'il a pu se tromper et que, tout compte fait, il aurait pumieux faire (§3).

Une telle pensée, loin de pourvoir à la liberté de Dieu, nous ferait retomber dans la toute puissancearbitraire du Dieu de Descartes.

Pour répondre à cet impératif d'ordre dans les actions de Dieu, Leibniz propose alorsune solution à ce problème en distinguant deux ordres : un ordre particulier établi parmi les créatures, et un ordreuniversel.

Ce qui parait extraordinaire ne l'est en fait qu'à l'égard de ce premier ordre, tandis qu'au second, « tout »,c'est-à-dire l'ensemble des phénomènes, y est conforme.

Par ce mouvement, Leibniz renvoie les hommes, créaturesde Dieu, à leur propres limitations.

Nous ne pouvons pas prendre conscience de l'ordre universel tel qu'il est pensépar Dieu: les règles et les principes de la création ne peuvent être vraiment compris.

Tout au plus, nous pouvons,par une certaine régularité des phénomènes, inférer quelques règles générales.

Mais nous aurions tort d'identifier cetordre général, « établi », à l'ordre universel.

Les miracles ou les monstres, par exemple, ne satisfont pas à cet ordreétabli, mais satisfont à l'ordre universel.

Néanmoins, comme Leibniz l'exprime ailleurs, la seule rareté, ou mêmel'unicité d'un phénomène ne suffit pas à ce que l'on parle de volonté extraordinaire de Dieu: c'est qu'en réalité nousn'en connaissons pas les causes.

Ainsi, ces phénomènes ont autant d'égard dans l'entendement de Dieu que ceuxque nous tenons pour les plus ordinaires.

Pareillement, il faut bien que les principes ordonnant les phénomènessoient déterminés par une fin et que, dans l'entendement de Dieu, cette fin soit le plus grand bien.

C'est ce quenous verrons.

Nous comprenons qu'ainsi, nous pourrions penser que l'absence de monstres serait plus conforme àl'ordre, en ce que cela, semblerait-il, produirait plus de bien.

Mais nous ne connaissons pas l'ordre universel, et cequi nous semble inadéquat, ce qui semble entraver un processus, ne l'est qu'à raison de notre propre ignorance. 2e partie De ce principe, réfutant la distinction commune entre volontés ordinaires et extraordinaires, il reste maintenant àtirer les conclusions : puisque Dieu ne fait rien hors d'ordre et que tout ce qui arrive dans le monde est l'oeuvre deDieu, nous pouvons en conclure que rien de ce qui arrive ne saurait être irrégulier.Mais pour Leibniz, pas seulement.

Nous ne pouvons pas même feindre l'existence de l'irrégulier.

Cette secondeassertion renforce la première.

Leibniz entend désormais montrer que le principe qu'il a formulé n'est pas qu'unedémonstration abstruse et qu'on peut en faire l'expérience d'une manière suffisamment vive pour que nous nepuissions pas même feindre que le désordre existe.

En effet, certaines démonstrations, malgré leur justesse, nepeuvent recevoir un assentiment total, faute de pouvoir en faire l'expérience: peut être sommes nous déterminés entoute chose, mais un tel principe ne saurait rien changer à notre croyance, si illégitime soit elle, à une certaineliberté.

Par une série d'exemple, Leibniz illustre ses propos.

Il propose tout d'abord une expérience: supposons quel'on trace quantité de points sur le papier, de la façon semblant la plus désordonnée.

Leibniz anticipe ici uneobjection que l'on pourrait lui formuler: comment Dieu ne pourrait-il pas produire hors d'ordre, puisque moi-même, jele peux ? Étant moi-même sujet de mon action, j'ai bien conscience que lorsque je trace ces points, c'est sans ordreni fin.

Leibniz, rapprochant cet exemple de "l'art ridicule de la géomance", qui consistait à prédire l'avenir à partir despoints formés par le jet au hasard de petits cailloux, laisse entendre que Leibniz rejetterait une telle objection auchamp de la superstition.

Selon lui, il est toujours possible de formuler une règle qui rende compte d'une manièreexacte de la configuration des points, sans jamais en appeler au hasard.

Cette règle leur attribuant un ordre, il estainsi possible de trouver « une ligne géométrique » dont la notion suive une certaine règle qui satisfasse à la lignearbitrairement tracée.

Les deux exemples suivants donnés par Leibniz fonctionne sur le même modèle: si nousimaginons non plus des points, mais une ligne dont la forme ne semble soumise à aucune règle : tantôt courbe,tantôt droite, il existe malgré tout un modèle mathématique, une formule, une équation, qui rende compte de cetteligne.

Enfin, le contour d'un visage, quel qu'il soit: habituel ou difforme, peut toujours être tracé par un mouvementréglé, et donc, être soumis à un ordre.

Par ces trois exemples, Leibniz nous montre par le biais du modèlemathématique la pertinence du principe dégagé plus tôt, selon lequel rien n'est hors d'ordre.

Remarquons quel'enchaînement des exemples n'a rien d'anodin.

Tandis que le premier considère le point, ou plutôt un ensemble depoints, élément élémentaire de la géométrie, le second considère la ligne, en tant qu'elle est définie par ses pointsdans la géométrie Euclidienne (que Leibniz connaissait bien).

Enfin, le dernier exemple semble nous faire sortir dustrict champ de la géométrie, pour nous faire considérer les courbes d'un visage : là où nous nous attendrions lemoins à trouver un ordre mathématique.

En effet, les courbes polynomiales permettent de rendre compte den'importe quelle forme complexe, telle l'ovale d'un visage.

Par ce passage du simple au complexe, Leibniz montre bienque l'ordre, l'harmonie, se retrouve à tous les niveaux de la réalité et dans tous les champs de l'expérience.

Il enconclut: « Mais quand une règle est fort composée, ce qui lui est conforme passe pour irrégulier ».

Nous l'entendonsbien : tandis que le premier exemple a toute la force de l'évidence, le second l'a déjà moins et le troisième encoremoins, car la règle devient toujours plus complexe.

Leibniz nous donne ainsi la raison de notre croyance à l'irrégulier,c'est à dire à l'absence d'ordre : faute de voir la règle, en raison de sa complexité, nous en concluons qu'il n'y en apas du tout. 3e partie Puisque il est maintenant démontré que Dieu ne fait rien hors d'ordre, et que par conséquent toute chose dansnotre monde est irrégulière selon l'ordre universel, Leibniz déclare maintenant que, Dieu aurait tout aussi bien pucréer le monde autrement, il aurait toujours été régulier, et "dans un certain ordre général".

En effet, le désordren'est pas même pensable, car exister, c'est pour Leibniz être ordonné, c'est « être harmonique ».

De plus, Dieun'agit jamais sans raison, or, créer le désordre, ce serait agir de façon déraisonnable, et contraire à sa perfection,. »

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