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LEIBNIZ: Des pensées involontaires...

Publié le 30/03/2005

Extrait du document

leibniz
Il nous vient des pensées involontaires, en partie de dehors par les objets qui frappent nos sens, et en partie au-dedans à cause des impressions (souvent insensibles) qui restent des perceptions précédentes qui continuent leur action et qui se mêlent avec ce qui vient de nouveau. Nous sommes passifs à cet égard, et même quand on veille, des images (sous lesquelles je comprends non seulement les représentations de figures, mais encore celle des sons et d'autres qualités sensibles) nous viennent, comme dans les songes, sans être appelées. La langue allemande les nomme fliegende Gedanken, comme qui dirait des pensées volantes, qui ne sont pas en notre pouvoir, et où il y a quelquefois bien des absurdités qui donnent des scrupules aux gens de bien et de l'exercice aux casuistes et directeurs des consciences. C'est comme dans une lanterne magique qui fait naître des figures sur la muraille à mesure qu'on tourne quelque chose au-dedans. Mais notre esprit, s'apercevant de quelque image qui lui revient, peut dire : halte-là, et l'arrêter pour ainsi dire. LEIBNIZ
  • Analyse de la rêverie et de ce qui la produit.
  • Attention: ne pas lire systématiquement ce texte de Leibniz à travers une grille conceptuelle freudienne, même si des rapprochements sont possibles.
  • Développer les allusions aux casuistes et directeurs de conscience.
  • Etre attentif à l'ensemble du texte, et en particulier à la dernière phrase.

Introduction

1) La rêverie.

2) La question du sens

3) Limites de la pensée contrôlée.

Conclusion

leibniz

« Il y a là quelque chose qui peut éventuellement inquiéter.

En effet, si le rêve est involontaire, il n'en reste pas moinsque les pensées du rêve sont propres au dormeur, et que ce qui les a suscitées trouve sa raison d'être en lui.

Nousnous découvrons ainsi riches d'« absurdités », terme qui rappelle l'impossibilité de reconnaître le lien logique quiexpliquerait pourquoi nous pensons à ceci ou à cela, mais surtout l'impossibilité de nous reconnaître vraiment dansdes pensées qui sont pourtant bien nôtres.Or, ceci peut poser un problème moral.

Certaines de ses pensées qui me viennent peuvent révéler en moi une partd'agressivité que je ne me connaissais pas.

Mais c'est surtout aux phantasmes d'ordre sexuel que Leibniz faitdiscrètement allusion.

Les « gens de bien » dont il parle pourraient légitimement se sentir en règle avec eux-mêmes,mais il y a ces « pensées volantes » qui révèlent en eux la présence de désirs intrus, provoquant ce trouble moralqu'est le scrupule.

Comment se juger soi-même si la pensée n'est pas déterminée par la volonté ? Les penséesinvolontaires sont-elles la marque d'une perversité de fond que l'honnêteté de la conduite ne peut suffire à éliminer ?Voilà du travail pour les casuistes, comme le dit Leibniz avec un soupçon d'ironie.

La casuistique est cet art dudiscernement moral fondé sur l'attention portée aux mobiles qui nous poussent.

Elle a mauvaise réputation à causedes critiques qu'en ont faites Pascal dans les Provinciales ou encore Molière dans le Tartuffe.

On se souvient deTartuffe s'autorisant l'adultère parce que son véritable mobile était de rendre hommage aux beautés de la création.Toutefois la casuistique mérite d'être prise au sérieux, dans la mesure où les actes seuls ne suffisent pas àdéterminer la valeur morale de celui qui les accomplit.

Il faut donc prendre en compte l'intention.

Mais celle-ci nesaurait être claire dès lors que nos pensées sont à la fois involontaires, « volantes » (donc ne pouvant êtrenommées comme si elles étaient fixes) et d'origine inconsciente.

D'une part il est impossible de déterminer avecprécision quelle serait la véritable motivation qui nous fait agir, d'autre part, quand bien même celle-ci existerait, elleéchappe-rait à notre volonté.

Faut-il alors, au risque de saper les fondements mêmes de la moralité, en conclureque nous ne sommes en rien responsables de nos pensées ?L'image de la lanterne magique pourrait le laisser croire, car elle renvoie une nouvelle fois à la passivité.

Notreconscience se fait ici spectatrice d'elle-même, et c'est comme si « on » tournait quelque chose au-dedans, ce « on» indéfini semblant bien renvoyer à quelque chose comme l'inconscient.

On trouve la même image au tout début dela Recherche du Temps perdu, de Marcel Proust ; dans cet ouvrage, elle suit la description de ces étatsintermédiaires entre la veille et le sommeil, quand la conscience ne sait plus exactement dans quel univers elle sesitue, trouble révélateur de sa passivité ; et elle précède de peu le célèbre passage de la « petite madeleine », danslequel le narrateur éprouve une joie intense et inexpliquée en absorbant un biscuit trempé dans du thé, avant decomprendre au terme d'un long effort introspectif que cette saveur le replonge dans l'univers oublié de son enfanceà laquelle elle appartient, et cette joie révèle cette fois la richesse de la vie psychique, faite d'imprégnationsdevenues inconscientes qui donnent une forme et une couleur particulières aux sensations nouvelles.Ainsi un individu est riche de son histoire et de ses impressions passées, et l'univers intérieur est autant à explorerque le monde extérieur.

Mais alors, revenons à la question de fond : est-ce à dire que notre vie psychique soitdéterminée par une instance mystérieuse, ce « on » qui produit les images, et qui serait l'inconscient ?La dernière phrase du texte en modifie toute la portée, et il convient donc de la souligner.

L'esprit dispose d'unpouvoir sur lui-même, que Leibniz décrit comme la possibilité de « dire halte-là », et qui s'appelle la capacitéd'attention.

Ainsi l'on peut « s'arrêter » sur une pensée, ce qui revient à la rendre volontaire.

Certes, il faut déjà quecette pensée soit apparue, ce qui ne saurait être en notre pouvoir, comme le texte l'a montré.

Toutefois, laresponsabilité de la conscience n'est pas supprimée, dans la mesure où il est possible de se complaire à des penséescoupables.Est-ce là que Leibniz voulait nous mener ? Rien n'est moins sûr.

Au contraire, on pourrait remarquer que le scrupulerencontre ici sa contradiction.

En effet, ce qui le motive, c'est la force des désirs « étrangers », signe inquiétantd'une éventuelle perversité latente.

Or, l'inquiétude et la culpabilisation ne font que donner plus de force à cesdésirs, dans la mesure où elles sont une marque d'attention, par laquelle la pensée devient cette fois véritablementnôtre.

La logique de la démonstration leibnizienne nous conduirait donc plutôt à nous détacher de nos proprespensées, dans la mesure où elles ne prennent de l'importance que si nous souhaitons leur en donner ; dès lors,d'images qu'elles étaient, que l'on pourrait contempler avec le même détachement que s'il s'agissait d'un spectacled'ombres, elles deviennent objets de la réflexion.Or, il revient à la conscience de choisir, cette fois librement, ce qui mérite d'être porté à l'attention de la réflexion.On le voit, nous sommes ici très loin de Freud.

Chez ce dernier, c'est l'inconscient qui constitue l'essentiel de la viepsychique.

Ce qui est refoulé n'est pas éliminé, au contraire.

Ainsi le moi découvre qu'il « n'est pas maître dans sapropre maison ».

Mais surtout, il demeure caché à lui-même, et la psychanalyse apparaît orientée vers laconnaissance de soi, même si cet objectif ne peut jamais être totalement atteint.On a souvent comparé le psychanalyste à un confesseur ou à un directeur de conscience (autre motif derapprochement entre ce texte et l'oeuvre de Freud).

La différence est que le point de vue du psychanalyste estmédical et non moral.

Mais le point commun est l'intérêt porté au désir lui-même, considéré comme l'essentiel quidoit être mis au jour, et même « avoué », ce qui présuppose que c'est la gêne, la honte ou l'impossibilité d'accepterson propre désir qui provoquent la résistance du patient.

On dira que la psychanalyse vise à réduire, voire àsupprimer, le conflit avec soi-même.

Mais ce conflit n'est-il pas partiellement créé par l'idée qu'il y a en chacun desdésirs étrangers à sa volonté ?La perspective leibnizienne peut nous libérer de cette façon de voir, qui prolonge à sa manière « amorale » la vie desscrupules, et ce, non pas en se référant au mythe d'une conscience qui produirait elle-même ses propresreprésentations en toute liberté, mais tout simplement en réduisant le rôle du moi à la capacité de porter sonattention.

Ainsi les désirs qui sont en moi malgré moi ne sont pas plus miens que les fantômes de mes rêves, et leurintérêt n'est pas de me révéler, mais d'augmenter les possibilités de combinaison qu'offre ma vie psychique.. »

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