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LEIBNIZ

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Pour moi, j'avoue que je ne saurais être du sentiment de ceux qui soutiennent qu'une vérité peut souffrir des objections invincibles ; car une objection est-elle autre chose qu'un argument dont la conclusion contredit à notre thèse ? Et un argument invincible n'est-il pas une démonstration ? Et comment peut-on connaître la certitude des démonstrations, qu'en examinant l'argument en détail, la forme et la matière, afin de voir si la forme est bonne, et puis si chaque prémisse est ou reconnue, ou prouvée par un autre argument de pareille force jusqu'à ce qu'on n'ait besoin que de prémisses reconnues ? Or, s'il y a une telle objection contre notre thèse, il faut dire que la fausseté de cette thèse est démontrée, et il est impossible que nous puissions avoir des raisons suffisantes pour la prouver ; autrement deux contradictoires seraient véritables tout à la fois. Il faut toujours céder aux démonstrations, soit qu'elles soient proposées pour affirmer, soit qu'on les avance en forme d'objections. Et il est injuste et inutile de vouloir affaiblir les preuves des adversaires, sous prétexte que ce ne sont que des objections ; puisque l'adversaire a le même droit, et peut renverser les dénominations, en honorant ses arguments du nom de preuves, et abaissant les nôtres par le nom flétrissant d'objections. LEIBNIZ

« Pour moi, j'avoue que je ne saurais être du sentiment de ceux qui soutiennent qu'une vérité peut souffrir des objections invincibles ; car une objection est-elle autre chose qu'un argument dont la conclusion contredit à notre thèse ? Et un argument invincible n'est-il pas une démonstration ? Et comment peut-on connaître la certitude des démonstrations, qu'en examinant l'argument en détail, la forme et la matière, afin de voir si la forme est bonne, et puis si chaque prémisse est ou reconnue, ou prouvée par un autre argument de pareille force jusqu'à ce qu'on n'ait besoin que de prémisses reconnues ? Or, s'il y a une telle objection contre notre thèse, il faut dire que la fausseté de cette thèse est démontrée, et il est impossible que nous puissions avoir des raisons suffisantes pour la prouver ; autrement deux contradictoires seraient véritables tout à la fois.

Il faut toujours céder aux démonstrations, soit qu'elles soient proposées pour affirmer, soit qu'on les avance en forme d'objections.

Et il est injuste et inutile de vouloir affaiblir les preuves des adversaires, sous prétexte que ce ne sont que des objections ; puisque l'adversaire a le même droit, et peut renverser les dénominations, en honorant ses arguments du nom de preuves, et abaissant les nôtres par le nom flétrissant d'objections. VOCABULAIRE: DÉMONSTRATION : C’est un raisonnement conduisant à une conclusion certaine car nécessaire (aucune autre n’étant possible).

La démonstration est une preuve ne reposant que sur la raison.

Le sceptique demande généralement alors ce qui prouve la raison… La question centrale de ce texte est la suivante : une vérité peut-elle rester une vérité tout en étant contraire à la raison ? Ce qui est démontré est-il nécessairement vrai, ce qui est réfuté est-il nécessairement faux ? La raison peutelle avoir tort, la raison peut-elle ne pas toujours avoir raison ? Y a-t-il des vérités, peut-il y avoir des vérités qui échappent à la raison, et même qui la contredisent ? Le domaine auquel s'appliquent les règles fondamentales de la raison, les lois de la logique est-il limité, ou bien s'étend-il à tout ce qui est susceptible d'être vrai ? La thèse de Leibniz, dans ce texte, est que cette position est absolument intenable. Annoncer par avance que l'on maintiendra que ce que l'on croit est vrai quand bien même cette « vérité » se heurterait à des objections que l'on reconnaîtrait soi-même comme insurmontables, à des arguments à quoi il n'y aurait rien à répondre, ce n'est pas limiter la raison, c'est la supprimer et la nier purement et simplement, c'est se priver et s'interdire de recourir désormais à tout raisonnement, à toute démonstration quels qu'ils soient, et donc c'est rompre toute possibilité de compréhension entre les hommes. • Au-delà du contexte précis dans lequel se développe la controverse, le texte est porteur d'enjeux tout à fait actuels : l'usage de la raison est-il, ou non, universel ? Faut-il, au nom de la diversité des cultures, au nom de « droit à la différence », admettre que des croyances peuvent être « vraies » à leur manière, dans leur domaine, tout en se soustrayant au libre examen de la raison ? La rationalité est-elle une spécificité occidentale à laquelle pourraient s'opposer d'autres formes de pensée, tout aussi valables, ou est-elle la condition même d'accès à la vérité, et la condition universelle de la communication entre les hommes ? « Je ne saurais être du sentiment de ceux qui soutiennent qu'une vérité peut souffrir des objections invincibles.

» La thèse de Leibniz est énoncée clairement dans la première phrase du texte : il est inacceptable d'admettre par avance qu'une vérité puisse souffrir des objections invincibles », c'est-à-dire qu'une vérité puisse rester une vérité tout en faisant l'objet d'une véritable réfutation. En effet, « la raison est l'enchaînement des vérités ».

Les vérités ne sont pas simplement trouvées hors de nous, constatées, mais elles doivent être comprises, démontrées. Or, comprendre une vérité, c'est comprendre les liens qui l'unissent aux autres vérités.

Les vérités ne sont pas simplement juxtaposées, mais elles s'articulent les unes aux autres, elles s'enchaînent pour former un tout cohérent.

La raison est cette exigence d'une liaison par laquelle les vérités découlent les unes des autres.

C'est pourquoi démontrer est l'acte même de la raison, qui n'a pas seulement pour objectif d'établir qu'une vérité est bien une vérité, mais de comprendre comment on passe rationnellement d'une vérité à une autre vérité. Ne pas se sentir tenu par une démonstration, c'est donc récuser la raison elle-même.

Or une objection ou une réfutation sont bel et bien une démonstration.

Du point de vue de la structure logique du raisonnement, réfutation et démonstration sont une seule et même chose : elles ne reçoivent deux noms différents que parce que l'on se place tantôt du point de vue de la thèse qu'elles soutiennent, tantôt de celui de la thèse qu'elles récusent.

Mais cela n'affecte évidemment en rien la valeur du raisonnement lui-même.

Il est donc vain de croire affaiblir la portée de l'argument de l'adversaire en le flétrissant du nom de « simple objection ».

Une démonstration par l'absurde est une vraie démonstration, la réfutation d'une thèse vaut autant que la démonstration de la thèse adverse.

Il n'y a donc pas d'échappatoire ou d'issue possible une objection, si vraiment elle est invincible, signe l'arrêt de mort de la soi-disant «. »

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