Devoir de Philosophie

Le Tintoret

Publié le 26/02/2010

Extrait du document

A l'époque de la Renaissance, les peintres de Venise, le Titien, Véronèse, Paris Bordone, Palma, et bien d'autres, veulent, dans leurs toiles où chantent les pourpres, les ors et les azurs, glorifier le faste et l'opulence de la grande métropole mercantile. Le Tintoret, lui, se sépare nettement d'eux. Ils sont avant tout des coloristes ; lui, après avoir prouvé qu'il pouvait rivaliser avec eux, se contente d'une palette restreinte, et porte le plus clair de son effort sur le dessin et la composition. Ils sont des voluptueux, qui s'appliquent à dénombrer tout ce qui peut flatter les sens, tout ce qui peut éveiller et délecter les désirs charnels. Lui, profondément et sincèrement croyant, veut retracer les scènes de l'Écriture sainte et de la Légende dorée telles que les imagine son âme de visionnaire, avec un réalisme que transfigure un puissant lyrisme. Né à Venise en 1518, il y meurt en 1594. Son existence, que n'assombrit que la mort de sa fille bien aimée Marietta, est celle d'un grand travailleur. Il semble avoir vécu pour sa famille et un petit cercle d'amis, ne se délassant de son prodigieux labeur que par la musique. Il s'appelait de son nom véritable Giacomo, ou Jacopo, Robusti, et prit son surnom, il Tintoretto, du métier de son père qui était teinturier. A dix-sept ans, il entre dans l'atelier du Titien, de trente-cinq ans plus âgé que lui, mais en sort au bout de peu de temps. Pendant dix ans, il travaille avec son camarade Schiavone. Très frappé par des dessins d'après les Michel-Ange de la chapelle des Médicis, qu'avait apportés à Venise Daniel de Volterre, il en fait venir des moulages et les dessine sans relâche, ainsi que des antiques, aussi bien à la lampe qu'à la lumière du jour. Impatient de créer et de couvrir de vastes surfaces, il ne refuse aucune commande. En 1548, il exécute son fameux Miracle de saint Marc, un des sommets de la peinture, et une toile où il se révèle un coloriste aussi savant que le Titien et Véronèse. A partir de ce moment-là, on fait sans cesse appel à lui. En 1560, il commence à travailler pour la Scuola, ou Confrérie, de San Rocco, dont il couvre les murs de tableaux. En 1574, son beau-père lui achète, non loin de la Madonna dell'Orto qu'il avait décorée, un petit palais où s'écouleront ses vingt dernières années. Après la mort de sa fille Marietta en 1590, il peint pour le palais des Doges son immense toile du Paradis, achève les décorations de la Scuola di San Rocco, et meurt, âgé de soixante-quinze ans.

« foi.

Sans doute, comme tous les artistes de son temps, il traite des sujets religieux parce qu'on lui en commande.Mais si le Titien et Véronèse ont retracé des scènes de martyre et des épisodes de l'Écriture, il est manifeste que,pour eux, le thème sacré passe au second plan, qu'il n'est qu'un prétexte, et que le principal de leur œuvre est unbel agencement de formes et de tons. Le Tintoret est tout différent.

Il ne néglige en rien son art, le veut aussi riche, aussi savant, aussi complet quepossible, mais cet art demeure pour lui un moyen, non une fin.

Le moyen qui lui permettra de traduire, dans lelangage des formes et des couleurs, tel ou tel sujet religieux. Ce sujet religieux ne sera pas pour lui, comme pour Véronèse, l'occasion de rassembler des personnages vêtus develours et de satin, d'élever de blanches colonnades sur un ciel bleu.

Pénétré de l'esprit de l'Évangile, qu'il a relu etmédité, le Tintoret veut représenter Jésus et ses disciples tels qu'ils devaient être : des gens du peuple, sur qui ledur travail manuel a laissé sa marque.

Ses apôtres et ses saints sont des marins aux faces tannées et aux mainscrevassées ; et autour d'eux il place d'humbles objets, des tabourets paillés, des écuelles de terre.

Nous sommesloin des somptueuses Noces de Cana de Véronèse, de la vaisselle plate et des aiguières de vermeil.

En même temps,et parce que, par souci de la vérité, le Tintoret veut situer les scènes de la Bible là où elles se sont déroulées, enOrient, et parce que, citoyen de Venise, il est en contact quotidien avec le Levant, il aime à vêtir ses modèles decaftans, à les coiffer de turbans, à parer les femmes d'Israël de mousselines brodées et de longues robesdamassées.

Mais cela, sans méticulosité d'érudit, car ce réaliste est aussi un visionnaire, une de ces naturesd'artiste dont la puissante imagination trouve ses aliments dans le réel, les assimile et les transfigure sous l'impulsionde son lyrisme intérieur.

C'est à ce lyrisme que nous devons les splendides paysages du Narcisse, de la SainteMagdeleine au désert et de la Sainte Marie l'Egyptienne, avec leurs eaux qui ruissellent sous les palmiers et lesondulations de terrain qui s'étendent jusqu'à l'horizon ; et les jardins où les deux Suzanne, celle du Louvre et cellede Vienne, dévoilent leurs charmes puissants. Pour le Tintoret, le réalisme n'exclut ni le lyrisme, ni le surnaturel.

Ses apôtres et ses saints peuvent être desmatelots hâlés comme il en coudoyait dans les ruelles de Venise ; mais ses anges sont vraiment des êtresdescendus du ciel sur la terre, et non des adolescents musclés et pourvus d'ailes comme ceux du Caravage.

Lafigure du Christ qu'il nous a donnée, on peut la comparer à celle que nous a laissée Rembrandt ; et cela dit tout.

Ala fois tendre et fort, humain et divin, conservant sa silencieuse majesté jusque sous les insultes et au moment dusupplice, ce Christ apparaît aussi bien capable de pardonner au pécheur que capable de châtier celui dont le cœurest dur. La différence entre le Tintoret et les autres Vénitiens, ses contemporains, ne se marque pas moins dans leurstableaux sur des sujets profanes, et notamment dans leurs nus.

Les femmes nues du Titien, de Véronèse, de Palma,de Bordone, sont de belles oisives qui semblent n'avoir d'autre occupation que d'exister, d'exhiber leur chair opulenteet dorée, tout comme un bouquet ou une corbeille de fruits mûrs ; et nulle passion ne paraît troubler leur quiétudeheureuse.

Vigoureuses, les femmes nues du Tintoret sont rarement inactives ; et bien que dévêtues, ellesconservent une singulière dignité qui découragerait tout regard équivoque. La conception de l'art religieux qui fut celle du Tintoret, l'association du réalisme et du lyrisme, on pourrait l'appeler-en s'inspirant du titre des poèmes de Blake, Le Mariage du Ciel et de l'Enfer le mariage de la Terre et du Ciel.

Cettedéfinition s'appliquerait également à ces deux grandes époques où fleurit le mysticisme : le gothique et le baroque. Devant une vision du monde organisée selon les exigences de la beauté pure, telle que fut celle de la Renaissance,le chrétien, malgré tout, ressent une certaine méfiance.

L'artiste de la Renaissance choisit, dans ce que nous offrele monde visible, ce qui satisfait sa norme esthétique, il élimine ce qui lui paraît trivial et grossier.

Pour le chrétien, lemonde étant l'œuvre de Dieu, dont la présence s'y fait sentir à chaque instant, rien n'y est méprisable, hormis lepéché, tout s'illumine, a un sens, a une valeur.

C'est bien là ce qu'a voulu exprimer Paul Claudel en s'écriant dansson Ode deuxième : Salut donc, ô monde nouveau à mes yeux, ô monde maintenant total ! O credo entier des choses visibles et invisibles, je vous accepte avec un cœur catholique ! Où que je tourne la tête J‘envisage l'immense octave de la Création ! Le Tintoret a aussi peint un certain nombre de portraits, dont quelques-uns sont d'une acuité psychologiqueétonnante.

Après les avoir vus, on n'oublie ni le Gentilhomme du Prado au grand front dégarni, ni Jacopo Soranzo àl'œil inquiet, ni surtout le Vincenzo Morosini de la National Gallery, qui rappelle tant Chaliapine dans le rôle de BorisGodounov. Le génie du Tintoret n'apparaît pas moins dans ses dessins que dans ses peintures.

Il y a d'abord ceux qu'il exécutad'après des antiques, et d'après des œuvres de sculpteurs de son temps, Michel-Ange, Sansovino, Jean de Bologne.Si le Tintoret a tant dessiné d'après des sculptures, c'est qu'il voulait acquérir une profonde connaissance du corpshumain, et qu'il comprit qu'il y parviendrait en retraçant d'après des œuvres sculptées, où la forme est à son plushaut point de lisibilité. Dans ses dessins d'après le modèle vivant, le Tintoret a tantôt tenu à reproduire, d'une façon à la fois ample et. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles