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Le règne des grands amateurs

Publié le 22/02/2012

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Les essais typographiques de Gutenberg se placent eux environs de l'année 1450. En 1810, le bateau à vapeur est une réalité. Trois siècles et demi séparent les premiers instants du monde de l'imprimerie du moment où le grand siècle de l'industrie européenne va commencer. Jamais le renouvellement inventif des techniques humaines n'a été aussi décisif en aussi peu de temps, surtout si l'on veut bien remarquer qu'en réalité presque toutes les inventions essentielles se situent entre les dates de 1630 et de 1780. C'est au cours de ce siècle et demi que s'accomplit définitivement la création de la machine complexe et animée. Avant, l'on connaissait bien déjà les moulins ou les premières horloges. La conception moderne de la machine n'a cependant été atteinte qu'une fois la vapeur intervenue et déjà réalisées quelque peu les répercussions humaines de son usage. Il est difficile de faire en quelques lignes l'analyse de cet âge si prodigieux de la découverte pratique. Prenons son axe de développement principal, celui-là même qui vient d'être évoqué en parlant de la conquête de la vapeur. Celle-ci commence d'être entrevue et méditée vers le début du XVIIe siècle, au moment où, par ailleurs, l'étude des fluides prend quelque consistance scientifique. Dès 1615, un Salomon de Caus rêve d'utiliser la force de la vapeur à élever de l'eau. L'idée se précisera avec les recherches de Denis Papin. Ce dernier conçoit vers 1690 le cylindre à piston mû par la vapeur. Il réalise la chaudière à soupape de sûreté. En 1707, il songe déjà à faire mouvoir un bateau par une première machine de sa construction. Pourtant l'invention ne prendra solidement pied dans le monde des réalisations pratiques qu'avec Newcomen. La "pompe à feu" qu'il conçut vers 1725 fut longtemps utilisée pour l'assèchement des mines ou le drainage des terrains. (Certaines de ces machines fonctionnaient encore en 1830). Pour finir, de 1760 à 1780, James Watt apportera au dispositif de Newcomen un ensemble de perfectionnements si nouveaux, si cohérents, qu'on peut à bon droit le regarder comme le créateur véritable de la machine à vapeur. On a en particulier bien des fois admiré l'idée qu'il eut de séparer le condenseur du cylindre moteur lui-même.

« l'accès au monde du rayonnement dans sa généralité. La seconde de ces directions est celle des recherches relatives à l'électricité et au magnétisme.

Le XVIIIe siècleest, en ces domaines, le siècle où l'expérimentation cesse de divaguer, où les données positives deviennent assezstables pour faire reculer les fantaisies de la spéculation.

Pourtant d'Otto de Guericke à Franklin, de Gilbert àCoulomb, ce n'est qu'une assez modeste progression.

Au terme de celle-ci, les faits principaux de ce qu'on appelleordinairement l'électrostatique sont clairement reconnus.

Surtout, en 1800, Volta réalise la première pile électrique.Les physiciens allaient pouvoir disposer de sources fournissant des courants continus et d'intensité notable : il n'enfaut guère plus pour permettre la naissance de l'électrodynamique.

Cent ans après la vapeur, l'énergie électriquefera son entrée dans le monde de l'industrie.

Mais c'est l'affaire d'un autre âge.

Même sur sa fin, la présente périoden'en a presque rien pressenti. Au total une époque de commencements, mais de commencements bien assurés.

L'âge ancien de la science estrévolu, l'empire de la physique philosophique achève de se décomposer.

Une mentalité nouvelle cherche à associerpartout la description mathématique à l'observation des phénomènes et plus encore l'action fabricatrice de l'hommeà l'intelligence des propriétés du réel.

L'invention n'est plus un fruit secondaire de l'effort de connaissance.

Elle n'estplus abandonnée aux soucis jugés serviles de quelque ingénieur.

Elle est quelque chose de la science même, sanslaquelle le vif élan de l'esprit s'alanguirait, sans laquelle la vision même des choses s'obscurcirait mortellement.L'expérimentation désormais nécessaire à la science est elle-même fabrication inventive à sa manière.

Le laboratoirecontient en germe toute l'industrie du lendemain. Assez lentement, mais avec une sécurité croissante, la pensée humaine prend ainsi un nouvel équilibre, se définit unnouveau cheminement.

Ce n'est peut-être point le dernier mot du développement de l'esprit approfondissant soncontact avec la nature.

Le mécanisme déterministe qui forme alors la base des habitudes mentales du savant aurasans doute besoin d'élargissement, d'assouplissements.

Il n'en constitue pas moins un horizon de pensée tout aussiindispensable à l'intelligence scientifique que l'est encore le mathématisme logicisant dont le platonisme avaitentrevu les premières bases mais qu'il avait voulu à tort exclusif de l'expérience et par soi suffisant. Les grands initiateurs de ces siècles si décisifs ont presque tous une vie, un tempérament, une physionomieintellectuelle remarquablement accordée à ce que demandait la nouvelle conquête humaine de la nature.

Il fallait,pour aller de l'avant, s'orienter avec justesse dans un champ assez confus de données.

Pour cela l'esprit devaits'être déjà familiarisé avec beaucoup de choses et savoir tirer parti d'une connaissance étendue à des horizons fortdivers.

A elles seules, cependant, les richesses de la curiosité n'auraient rien donné.

Le sens de la méthode, lamaîtrise délibérée de l'effort n'étaient pas moins nécessaires.

En arrière de la discipline scientifique des tempsmodernes il n'est pas inutile dès lors d'apercevoir le rôle joué par la maturation générale de la conscience qui se fitau lendemain du Moyen Âge dans les crises spirituelles qui déchirèrent l'Europe.

Les inventeurs de ces sièclesportent l'empreinte intellectuelle de cette maturation.

En eux, paradoxalement, l'ardeur de la recherche, lamultiplicité des connaissances s'allient à une sorte de gravité soutenue de l'esprit, à une profondeur intime duraisonnement qui donnent à leurs Oeuvres, à leurs échecs comme à leurs succès, une qualité vraimentexceptionnelle d'humanité.

Rarement leurs successeurs plus modernes réussiront à la retrouver avec autant denaturel et de simplicité. Hommes de science, hommes d'invention, bien peu de ces créateurs furent des professionnels patentés dessciences ou des techniques qu'ils firent avancer.

On rencontre parmi eux quelques professeurs.

Mais plus souventencore le génie s'est allié avec une position sociale, des responsabilités humaines à première vue assez étrangères àl'inspiration de leurs trouvailles.

Du jurisconsulte Leibniz à l'ingénieur militaire Cugnot, au papetier Montgolfier ou àBenjamin Franklin homme d'État, la tradition est solide : la trouvaille apparaît dans le champ des occupations queces esprits se sont données comme gratuitement, sans y être nécessairement poussés par le métier.

Ce sont desamateurs. Il faut pourtant bien comprendre ce qualificatif.

Il fallait bien faire figure d'amateur puisque, la plupart du temps, lesdomaines explorés n'offraient jusqu'alors rien qui justifiât l'apparition d'une profession sociale distincte.

Les "doctes"avaient auparavant de bien autres préoccupations que l'avancement de la physique ou la conception d'enginsnouveaux.

Les artisans, de leur côté, ne progressaient guère que dans la ligne de leurs traditions.

Il fallait même, enun sens, n'être qu'un amateur, afin de pouvoir apporter dans un domaine encore mal consistant une forced'intelligence mûrie à d'autres travaux.

Le cas des alchimistes est assez révélateur.

Des esprits que nous n'avonspoint de motifs pour les juger particulièrement médiocres, errèrent sans fin dans le dédale des phénomènes avant detrouver les bonnes issues, peut-être parce qu'ils s'étaient faits trop exclusivement les hommes de leur étude, au lieud'y venir comme par distraction, l'esprit déjà bien formé par ailleurs à quelque rigueur efficace.

Au moment où il setrouve qu'être un amateur c'est savoir s'intéresser aux choses au-delà de ce que les habitudes de la vie nous enproposent, mais sans renoncer aux principes qui ont fait, en leur domaine, le succès de ces habitudes, c'est êtrebien près du secret de l'intelligence humaine.

Le "règne des grands amateurs" n'est pas simplement un épisode dudéveloppement de la pensée scientifique.

Il est aussi une leçon à méditer chaque fois que se pose le problème desconditions humaines de l'invention.. »

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