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L'art est-il une sublimation des sentiments ?

Publié le 28/05/2009

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L’activité artistique désigne l’opération pratique par laquelle l’artiste produit des œuvres d’art. Les sentiments sont des vécus affectifs qui se présentent couramment sous la forme soudaine et violente de l’émotion. La sublimation est un processus par lequel un sentiment, une émotion ou une pulsion étymologiquement passent au dessus de leur seuil (sub-limen). En d’autres termes, elle est l’opération par laquelle un vécu affectif se transforme et s’exprime dans un ordre plus élevé. Ainsi définir l’activité artistique comme sublimation des sentiments, c’est affirmer que l’activité essentielle de l’art est de transformer des sentiments spontanément éprouvés et de les exprimer dans un ordre plus élevé qui est celui de l’œuvre d’art. L’action de sublimer suppose trois choses qui coïncident à trois temps: un matériau initial, l’opération de transformation, et enfin le résultat de cette transformation sous une forme différente que l’étape initiale. Pour ce faire, l’artiste doit lui-même connaître les sentiments spontanément éprouvés par chacun,  pour dans un second moment les détourner de leur source originelle et , enfin, en faire une œuvre d’art.

Dans la mesure où l’art exprime des sentiments que nous éprouvons spontanément, mais qu’il les exprimer sur un autre mode, il serait possible de soutenir que l’activité artistique sublime nos sentiments en favorisant leur régulation.  Néanmoins, si l’art se fait à partir de sentiments, il n’est pas évident qu’il dépasse leur statut originel. En effet l’activité artistique usant des sentiments excite plutôt nos sentiments spontanées et en fait naître même d’autres que nous n’éprouvons pas spontanément. Ainsi loin de sublimer les sentiments, l’art ne ferait que les renforcer et les exciter. Toutefois si l’activité artistique ne peut être définie comme sublimation des sentiments, faut-il pour autant la rejeter ou bien au contraire renoncer à la définir sur le plan moral des sentiments ? Nous sommes dés lors confrontés à ce problème : puisque l’activité artistique se définit comme une opération  usant de moyens en vue d’une fin, peut-on la définir comme le processus de transformation des sentiments qui permet leur expression dans un ordre plus élevé ou bien au contraire dont-on renoncer à cette définition comme illégitime ? 

« II L'activité artistique loin d'être un principe de régulation et de modération des sentiments est aucontraire le principe de leur excitation _ Tout d'abord l'art n'embellit pas toujours nos sentiments.

En effet il peut soit tenter de les peindre tels que nousles éprouvons, soit les rendre plus laids et plus pénibles.

L'art réaliste par exemple vise à rendre exactement ce quenous éprouvons en l'imitant : le théâtre de Brecht, les romans de Zola seraient des exemples de cette veine, plusencore par exemple l'impressionnisme de Claude Monet cherche à rendre compte du sentiment exact réfracté dans laperception d'un soleil couchant.

Par opposition l'expressionnisme cherche à nous faire ressentir nos sentiments endémultipliant leur puissance et leur violence, en usant de moyens d'amplification et de surenchère comme lescaricatures che Georges Grosz ou des compositions chaotiques chez Otto Dix, voulant nous faire saisir l'effroi face àl'horreur de la guerre.

Plus encore, l'art nous donne à ressentir des sentiments que nous n'aurions pas spontanémentéprouver.

L'Œuvre d'art peut avoir sur nos âmes un effet non seulement d'amplification, mais d'invention et decréation de sentiments nouveaux.

C'est ce que l'on peut soutenir avec Platon au livre III de la République : les artistes par leurs inventions poétiques troublent l'âme des hommes en leur représentant par exemple comme dansl'Odyssée et l'Iliade d'Homère les crimes et les vengeances des dieux.

Ses œuvres introduisent des sentiments d'impiété, de crainte et de haine qui nourrissent la partie désirante de l'âme et l'éveillent à la cupidité.

C'est la raisonpour laquelle Platon exclut les poètes imitateurs de la Cité._ En un second sens, s'il est vrai que l'art repose sur le principe de l'imitation et donc de la mise à distance, il n'enest pas moins vrai que l'art se fait avec des sentiments.

Or l'artiste, s'il veut plaire à son public , est contraintd'exprimer les sentiments qui plaisent à tous.

Ainsi, loin de sublimer les sentiments, l'activité artistique flatte dessentiments éprouvés par tous et par son action même les renforce chez le public.

Loin d'être une régulation dessentiments et leur modération, l'art est un principe d'excitation des sentiments : plutôt que d'être transformée etexprimés sous une autre forme purgative, les sentiments des hommes dépeints par l'art restent au niveau initial etne sont qu'amplifiés.

C'est ce que l'on peut soutenir avec Rousseau dans la Lettre à d'Alembert : « la scène en général est un tableau des passions humaines dont l'original est dans tous les cœurs : mais si le peintre n'avait passoin de flatter ces passions, les spectateurs seraient bientôt rebutés et ne voudraient plus se voir sous un aspectqui les fit mépriser d'eux-mêmes ».

Ainsi la catharsis qui croit modérer les sentiments ne fait que les exciter._ Mais n'est-il pas bon que l'art excite en nous des sentiments vertueux ? Non car l'émotion esthétique de sessentiments vertueux nous dispense d'être vertueux en dehors du théâtre.

En ce dernier sens, on peut dire que l'artn'est que l'apparence d'une sublimation des sentiments.

En effet le théâtre montre des actes vertueux sublimes et leméchant se plait à ce spectacle des vertus sublimes.

Pourquoi ? Le méchant s'y plait parce qu'il voit le spectacled'une vertu irréalisable qui se borne aux limites de la scène.

L'approbation de ses actes et leur beauté sublimepermet aux hommes de s'acquitter de la vertu par l'hommage esthétique qu'ils vont lui rendre au spectacle et quin'impliquent pas des conséquences pratiques dans la vie réelle.

Au contraire tout se passe comme si le spectacle desentiments vertueux nous dispensait de la vertu effective.

C'est ce que l'on peut soutenir avec Rousseau dans lemême ouvrage : « au fond quand un homme est allé admirer de belles actions dans de belles fables et pleurer desmalheurs imaginaires, qu'à t-on encore à exiger de lui ? (…) Ne s'est-il pas acquitté de tout ce qu'il doit à la vertupar l'hommage qu'il vient de lui rendre ? ».

Ainsi écrit Rousseau, grâce à l'art, nous nous nous applaudissons de notrebelle âme en plaignant des maux que nous pourrions guérir : plutôt que d'être charitable avec les pauvres, nousdisons « Dieu vous assiste ».

Loin de sublimer les sentiments, l'art ne ferait que les renforcer et les exciter.

Toutefois si l'activité artistique nepeut être définie comme sublimation des sentiments, faut-il pour autant la rejeter ou bien au contraire renoncer à ladéfinir sur le plan moral des sentiments ? III L'activité artistique est une pratique proche de l'artisanat qui a une fonction de conversion du regard _ Penser l'art comme sublimation des sentiments nous a éloigné de notre définition initiale de l'art comme opérationpratique par laquelle l'artiste fa crique des œuvres.

Il est peut-être temps, à présent que la définition de l'art commesublimation a été invalidée, d'en revenir à cette détermination d'ordre pratique.

En effet, avant de se servir dessentiments éprouvés par l'auteur et cherchant à avoir des effets sur l'âme du public, l'activité artistique est d'abordla confrontation de l'habileté de l'artiste avec une matière et des contraintes de fait.

C'est ce que l'on peut souteniravec Alain au chapitre VII du Système des Beaux arts : de même que l'inspiration, le sentiment de l'artiste ne forme rien sans matière.

Ainsi c'est la conformation avec une contrainte de fait sur laquelle l'artiste exerce sa perception,puis son habileté qu définit l'activité artistique.

En effet un sculpteur comme Michel-Ange passait des journéesentières à scruter les blocs de marbre dans les carrières pour juger ce qu'il était possible de faire avec telle ou tellepierre.

Comme l'écrit Alain « la loi suprême de l'invention humaine est que l'on n'invente qu'en travaillant ».

Ainsi cen'est pas par le sentiment que se définit l'artiste, mais à sa capacité à se confronter et à dialoguer avec la matière.En cela l'art est plus proche de l'artisanat que de la pensée, même si l'artisanat se caractérise par la possibilité deproduire en série un même modèle quand l'oeuvre d'art est toujours unique puisque la règle reste prise dans l'œuvre._ Loin de la subjectivité des sentiments, l'activité artistique a une finalité objective : elle cherche à nous faire voirle réel tel que notre vision ordinaire ne nous permet pas de le voir.

C'est ce que l'on peut soutenir avec Bergson auchapitre III du Rire .

L'artiste cherche alors à nous faire voir ce qu 'il a lui-même vu .

Mais cette vision de la réalité elle-même ne peut être peinte à l 'imitation du réel, elle nécessite une rupture avec la vision commune entachée par le besoin.

Or cette rupture ne peut être obtenue que par la transgressions de notre perception : ce que nousprenions pour la vision d 'un objet radicalement autre n 'était en fait qu 'un moyen pour nous ramener à la vision de la réalité elle-même.

Ainsi écrit Bergson l 'art n 'est qu 'une vision plus directe de la réalité ».

Et « le réalisme est dans l'œuvre quand l 'idéalisme est dans l 'âme et que c 'est à force d 'idéalité seulement que l 'on reprend contact avec la réalité ».

C 'est par la rupture accomplie par l 'œuvre d 'art que nous, gens ordinaires, pouvons transgresser le schème. »

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