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La vérité est-elle préférable au bonheur ?

Publié le 11/08/2009

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«C'est proprement vivre les yeux fermés que de vivre sans philosopher« (Descartes, Principes de la philosophie, préface).

Descartes propose une définition de la philosophie: c'est de vivre les yeux ouverts. C'est donc le contraire du sommeil, qui symbolise l'ignorance, et du rêve, qui nous présente des illusions; c'est plutôt la connaissance, ou du moins la recherche de la vérité. C'est chercher à voir les choses telles qu'elles sont, sans se laisser influencer par des préjugés. Si l'on admet que la philosophie est l'exercice de la pensée, il semble difficile de rejeter comme stérile une telle activité. Vivre sans philosopher, ce serait préférer se laisser guider par les opinions des autres plutôt que se conduire par son propre esprit. Une telle attitude serait comparable à celle d'un homme doué de bons yeux mais qui préférerait les tenir fermés et se laisser guider par autrui. Le choix de cette dépendance intellectuelle paraît incompréhensible. On pourra l'expliquer par la paresse, car penser par soi-même exige un effort. Mais un seul argument sérieux semble capable de justifier une réticence à l'égard de la philosophie: vouloir supprimer les illusions dont les hommes vivent , n'est-ce pas dangereux? La philosophie ne risque-t-elle pas de conduire à la désillusion? Certes, les préjugés sont mauvais parce qu'ils sont une entrave à la découverte de la vérité. De plus, lorsqu'ils portent sur d'autres hommes, ils constituent une violence. Le préjugé est toujours réducteur, il donne à celui qui en fait l'objet le sentiment qu'on ne lui laisse pas sa chance, qu'on lui retire la liberté de modifier ce jugement en niant sa singularité. Mais l'interrogation philosophique ne risque-t-elle pas de constituer elle-même une violence? A mettre en doute ses opinions, ne risque-t-on pas d'en venir à douter de soi? Plus grave, cela ne va-t-il pas conduire à douter du sens de tout ce que l'on fait? La vie exclut les questions. A mettre sa vie en questions, on finit par ne plus la vivre. Doit-on obliger les hommes à contempler leur propre néant? Le refus de l'effort de penser pourrait s'expliquer par le sentiment d'une incompatibilité entre, d'une part, l'exercice de la raison, dont relève la philosophie et, d'autre part, le bonheur. Faut-il donc abandonner l'effort de penser et adopter le slogan -- c'est bien d'un slogan qu'il s'agit, puisque avant qu'il ne traîne dans toutes les bouches, il fut lancé par une chaîne de supermarchés -- selon lequel il faut positiver? Ou bien l'opposition entre la connaissance de la vérité et le bonheur n'est-elle qu'une apparence? Après tout, entre bonheur et vérité, faut-il choisir?

« inévitable est désespérante.

C'est pourquoi les hommes la fuient dans ce que Pascal appelle le divertissement, quiconsiste, selon l'étymologie, à détourner sa pensée des idées noires. 2.

« Heureux les pauvres d'esprit ! » La lucidité semble donc une source de malheur.

Qui ose contempler en face la réalité de la condition humaine secondamne au désespoir.

Le savoir ne sera donc pas un remède, au contraire.

Que je réfléchisse un peu, et je sauraique mon existence n'a pas de sens: rien ne justifie mon existence.

Je suis né par hasard, sans raison.

La méditationfournit assez facilement des raisons de désespérer.

Rien n'a vraiment de sens, de valeur absolue.

Tout ce quej'accomplis est voué à la disparition.

C'est le constat dressé par l'Ecclésiaste: «Tout est vanité».

La richesse, lagloire, les femmes, tout cela est éphémère et ne m'empêchera pas d'y passer comme les autres.

Quant au savoir, ilne fournit nulle consolation: «Qui accroît son savoir accroît son malheur».

La lucidité conduit en effet au constat dela vanité de l'existence.

C'est pourquoi Erasme fait l'Eloge de la folie: le fou est finalement plus raisonnable que lesage.

C'est la volonté de savoir, de percer des secrets qui nous ont été cachés, qui est folie.

Le fou est bien plusheureux de son inconscience.

Erasme cite le cas d'un fou qui regrette d'avoir été guéri de ses illusions.

C'estpourquoi aussi l'enfance apparaît comme un paradis perdu: c'est l'âge de l'ignorance, mais aussi de l'insouciance.

Lesavoir ne rend pas plus heureux, au contraire.

Déjà Platon se désolait que le monde, vidé par le savoir rationnel dedivinités qui le peuplaient, soit "désenchanté".

Pythagore croyait entendre la "musique des sphères", le sonharmonieux produit par les sphères célestes dans leur mouvement.

Le progrès de la science détruit l'illusion; nedétruit-il pas aussi la beauté du monde? Au XVIIème, Pascal n'entend plus rien, que "le silence éternel de cesespaces vides", source pour lui de frayeur.

Il est vrai que l'univers n'est pas silencieux.

Mais le rayonnement captépar les radiotélescopes n'a rien de musical ni d'harmonieux.

Ainsi, le chercheur Steven Weinberg conclut les Troispremières minutes de l'univers sur un ton désabusé: le progrès de l'astrophysique ne nous a dévoilé aucun dieu,aucune présence réconfortante, seulement le jeu de forces aveugles et de particules sans âme.

"Plus l'univers nousdevient compréhensible, et plus il semble absurde", dit-il à la fin de son livre. 3.

Une foi instinctive La conscience, donc, semble compromettre le bonheur.

La vie suppose une adhésion, une foi instinctive sanslaquelle l'existence devient un fardeau.

On vit sans s'interroger sur le sens de son existence.

On vit d'autant mieuxque l'on se pose moins de questions.

On s'implique dans des tâches, on se donne à des occupations sans mettre enquestion leur valeur.

Il est étonnant que les gens ne pensent pas plus à cet événement qui les attend pourtant defaçon inévitable: leur propre mort.

C'est probablement que la nature, pour que la vie puisse continuer, nous a fourniun instinct qui nous détourne de cette idée.

Mais parfois le voile de l'illusion se déchire.

La rupture de cette foi dansla vie, de cette tendance naturelle à vivre sa vie sans s'interroger sur son sens est pathologique, c'est ladépression.

Dès que l'on s'interroge sur le sens de ce que l'on fait, apparaît la vanité de toute entreprise.

Ainsi, celuidont on dira qu'il pense trop, se gâche le plaisir présent par la considération des soucis à venir.

Il ne parvient pas àvivre le bonheur présent, parce qu'au lieu de le vivre, il le pense.

Ainsi caricature-t-on le philosophe: comme un"chevalier à la Triste-Figure".

A prendre trop de recul par rapport à toute situation, il ne parvient à adhérer àaucune, il est trop détaché, ne parvient pas à s'oublier pour un moment.

Il lui faudrait, pensera-t-il, arriver às'engager dans ce qu'il vit au point de coller à ses expériences, à se laisser enfin aller.

Il enviera la légèreté de celuiqui sait s'oublier pour se donner tout entier au moment présent.

Il tiendra la conscience pour une sorte de frein oude poids qui l'empêche de s'abandonner.

Il est incapable de s'enthousiasmer.

Il pourra même éprouver la tentationde se réfugier dans l'inconscience: la frivolité, le divertissement, l'illusion qui, repoussant le doute et les questionsqui nous rongent et nous hantent, semblent procurer tranquillité et consolation.

Baudelaire, dans ses périodes despleen, espère trouver cet apaisement dans la contemplation de la beauté, peu importent sa nature et son origine.Tant pis si le paradis trouvé n'est qu'un paradis artificiel: « De Satan ou de Dieu, qu'importe? Ange ou Sirène,Qu'importe, si tu rends -- fée aux yeux de velours --,L'univers moins hideux et les instants moins lourds?»(Hymne à la beauté ) II.

L'illusion est amère La conscience semble compromettre le bonheur, elle rend toute existence inquiète.

D'où la tentation de la réduire ausilence.

Mais, en supposant même qu'il soit possible de faire taire sa conscience, est-ce bien là la condition dubonheur? Ne suppose-t-il pas la conscience d'être heureux? L'efficacité de l'illusion en vue du bonheur est discutable.

Elle ne pourra jamais être si complète qu'elle obnubile(couvrir de nuages) tout à fait la conscience.

Je peux à la rigueur mettre ma conscience en sourdinemomentanément, mais elle reviendra pour troubler l'illusion, et susciter le mécontentement de soi-même.

Ons'apercevra alors que l'on s'est menti, ce qui ne peut pas être satisfaisant pour l'esprit. Je me suis quelquefois proposé un doute: savoir s'il est mieux d'être gai et content, en imaginant les biens qu'onpossède être plus grands et plus estimables qu'ils ne sont, et ignorant ou ne s'arrêtant pas à considérer ceux quimanquent, que d'avoir plus de considération et de savoir, pour connaître la juste valeur des uns et des autres, etqu'on devienne plus triste.

Si je pensais que le souverain bien fût la joie, je ne douterais point qu'on ne dût tâcher. »

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