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La psychologie du caractère apporte-t-elle une confirmation ou un démenti à cette pensée d'Amiel : « L'homme n'est que ce qu'il devient, vérité profonde; l'homme ne devient que ce qu'il est, vérité plus profonde encore » ?

Publié le 22/06/2009

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Il est classique de distinguer dans le caractère des éléments naturels ou innés et des éléments acquis. On naît sanguin ou lymphatique, vif ou mou; mais les traite essentiels du tempérament peuvent être modifiés par des influences diverses : le climat, le métier, l'éducation et le milieu social, enfin l'effort volontaire. Cette distinction claire, et qui semble bien résumer les faite, Amiel paraît la rejeter : « L'homme, dit-il, n'est que ce qu'il devient, vérité profonde; l'homme ne devient que ce qu'il est, vérité plus profonde encore. « La réflexion nous montrerait donc, d'après Amiel, que tout ce que nous observons en l'homme est acquis : l'homme n'est que ce qu'il devient. Mais une réflexion plus profonde nous ferait constater que ces acquisitions ne sont qu'apparentes : l'homme ne devient que ce qu'il est. Tâchons de pénétrer le sens de ces deux réflexions antithétiques du penseur genevois et de voir si l'observation les confirme ou les infirme.

« * * * On pourrait d'abord comprendre que l'homme ne devient que ce qu'il est par naissance, ou par cette naissancespirituelle qu'est la première éducation 11 est certains traits de caractère que le milieu physique ou le milieu socialpeuvent bien atténuer, mais qu'ils n'effaceront jamais.

Ces tendances fondamentales détermineront toujours lesréactions particulières de chacun : un sanguin entré dans la diplomatie parviendra à se maîtriser lui-même, mais il semaîtrisera en sanguin, qui toujours bouillonne.

Le fonctionnaire, sans doute, s'adaptera à sa fonction; mais, plusencore, il adapte la fonction à ce qu'il est par nature, et sa nouvelle fonction devient en lui ce qu'il est.De même un enfant élevé dans un milieu vulgaire et dont le tempérament n'implique rien de particulièrement délicatrestera toujours vulgaire.

Sans doute, si les circonstances ou sa valeur personnelle le font parvenir à une situationélevée qui le fera vivre dans un milieu choisi, il s'adaptera, il changera ses manières et son langage, prendra un airnouveau, deviendra distingué.

Mais jusque dans sa distinction il restera quelque chose de rude et de grossier; soneffort même pour être ce qu'il est devenu montre qu'il ne l'est pas encore et il ne le sera jamais.

On ne devient quece qu'on est.

Distingué, il ne le sera jamais qu'à la façon d'un parvenu, et, en prenant des manières distinguées, illes vulgarisera en quelque sorte, les amenant à son niveau : il devient ce qu'il est.Cette interprétation est bien pessimiste et semble couper les ailes à tout espoir de progrès.

Est-elle confirmée parles faits ? Il semble bien que non.

Si souvent l'homme nous donne des déceptions et des surprises ! Tel, médiocredans les études, se révèle, au cours de la vie, ouvert et réfléchi; tel autre, apathique et terne, se montre, au coursd'une guerre, entreprenant et finit en héros.

L'homme ne devient pas ce qu'il est par une sorte d'évolutionmécanique sur laquelle il ne peut rien.

Il est capable, dans une certaine mesure, de diriger cette évolution.Mais — et c'est là un second sens de la pensée d'Amiel — pour diriger cette évolution, il faut déjà être orienté, ilfaut être en partie ce qu'on rêve de devenir.Les psychologues modernes, en particulier Maurice Blondel, l'ont bien montré : rien n'entre dans l'homme, n'estassimilé par lui, c'est-à-dire ne devient lui-même, qui ne soit appelé par quelque aspiration profonde de son âme, quine soit déjà lui.

De cette idée, nous trouvons déjà une amorce chez Amiel : « On ne peut apprendre aux autres quece qu'ils pressentent; on ne leur enseigne avec fruit que ce qu'il%savent virtuellement; on ne leur donne que cequ'ils avaient déjà ».

Devenir n'est donc qu'expliciter ce qu'on est déjà implicitement.De fait, on ne devient pas énergique ou affectueux; l'énergie ou l'affection qui apparaissent ne sont que ledéveloppement d'un germe naturel ou de cette seconde nature constituée par les toutes premières habitudes del'enfance : devenir se ramène à réaliser les virtualités accumulées en soi.

Mais il reste une importante marge à notreeffort personnel : si ces virtualités sont en nous sans nous, de même que le germe est dans la graineindépendamment du fleuriste, leur développement dépend de nous.

L'énergie du tempérament qui nous est échuepeut être tournée à la domination de nous-mêmes afin de ne pas sacrifier les autres à nous.

Il y a mille façons des'attacher et d'aimer : il en est qui ennoblissent et d'autres qui avilissent.

Peut-être ne deviendrons-nous jamais quece que nous sommes, niais nous pouvons être ce que nous sommes de bien des façons différentes, et la façond'utiliser ce qu'on est importe plus que cela même qu'on est.Mais peut-être pourrait-on trouver à la pensée de ce subtil penseur, une signification plus subtile encore.

L hommene devient, à chaque instant de sa vie, que ce qu il est à cet instant même.

Dans la plupart de nos actions, noussommes comédiens, nous jouons un rôle.

Quand nous sommes en société, la comédie est évidente.

Mais, à force dêtre comédiens avec les autres, nous continuons, restés seuls, de jouer notre rôle : nous sommes comédiens avecnous-mêmes.

Nous nous faisons désintéressés, sensibles au beau et même angoissés de graves questions.

Il n y a làque pure façade, et un esprit pénétrant ne s'y trompe pas : on ne devient pas artiste, ou charitable, ou philosophe,parce qu il est avantageux de le Ire et comme sur commande; on ne devient jamais que ce qu on est.

* Pourdevenir ce qu on désire être, il ne suffit pas de faite comme si on l'était déjà.

L'orgueilleux qui fait comme s'il étaithumble use en quelque sorte les résistances qui, en lui, s'opposent à l'humilité : il n'est pas encore humble, et il peutrester orgueilleux dans son attitude humiliée.

Les transformations qui nous modifient doivent être plus profondes,atteindre l'intime du coeur.

Mais lorsque les résistances sont usées, lors qu une purification prolongée a établi dansl'âme comme un nouveau climat, un autre homme apparaît.

La pratique des vertus, artificielle jadis, est devenuenaturelle : les gestes et les paroles humbles sont l'expression spontanée d'une conviction intime.

Alors on nedevient, dans ses actes, que ce qu on est réellement à l'intime de l'âme. * * * Nous devons le reconnaître, c'est ce qu'on est qui attache et captive les hommes et non pas ce qu'on fait.

Goethel'avait déjà noté : « Les natures communes payent avec ce qu'elles font; les natures riches avec ce qu'elles sont.

»Amiel le répète en des termes analogues : « Ce n'est pas ce qu'il a, ni même ce qu il fait, qui exprime directement lavaleur d'un homme, c'est ce qu'il est.

»Cette pensée coupe les ailes aux rêves d'une ascension morale trop facile et trop rapide : elle n'a pas de quoidécourager.

Ce que nous faisons, en effet, est comme le témoin de ce que nous sommes.

De plus, une actionpersévérante informée par le même idéal parvient peu à peu à se confondre avec ce que nous sommes, de mêmeque le métier, parfois, s'inscrit en quelque sorte dans l'allure de celui qui l'a pratiqué durant toute une vie et luisculpte lentement un nouveau visage.

Ne nous laissons pas hypnotiser par ce que nous sommes ou croyons être.Travaillons à devenir ce que nous voudrions être : il n'y a pas d'autre moyen de grandir.. »

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