Devoir de Philosophie

Jankélévitch: Toute vérité est-elle bonne à dire ?

Publié le 15/03/2006

Extrait du document

Toute vérité n'est pas bonne à dire ; on ne répond pas à toutes les questions, du moins on ne dit pas n'importe quoi à n'importe qui il y a des vérités qu'il faut manier avec des précautions infinies, à travers toutes sortes d'euphémismes et d'astucieuses périphrases ; l'esprit ne se pose sur elles qu'en décrivant de grands cercles, comme un oiseau. Mais cela est encore peu dire : il y a un temps pour chaque vérité, une loi d'opportunité qui est au principe même de l'initiation ; avant il est trop tôt, après il est trop tard. Est-ce la vérité qui s'insère dans l'histoire ? ou la conscience qui se développe selon la durée ? La chose certaine est qu'il y a toute une déontologie du vrai qui repose sur la saisie irrationnelle de l'occasion opportune et, comme nous dirions volontiers, de la flagrante conjoncture. La véridicité ou diction de la vérité est un événement historique. Ce n'est pas tout de dire la vérité, « toute la vérité », n'importe quand, comme une brute : l'articulation de la vérité veut être graduée ; on l'administre comme un élixir puissant et qui peut être mortel, en augmentant la dose chaque jour, pour laisser à l'esprit le temps de s'habituer. La première fois, par exemple, on racontera une histoire ; plus tard on dévoilera le sens ésotérique de l'allégorie. C'est ainsi qu'il y a une histoire de saint Louis pour les enfants, une autre pour les adolescents et une troisième pour les chartistes ; à chaque âge sa version ; car la pensée, en mûrissant, va de la lettre à l'esprit et traverse successivement des plans de vérité de plus en plus ésotériques. Aux enfants le lait des enfants, aux adultes le pain substantiel des forts : c'est en ces termes que Paul s'adresse aux Corinthiens et aux Hébreux. Le cycle des études a, lui aussi, ses Petits et ses Grands Mystères [...] ; et l'on peut même dire que toute philosophie qui se propose la conduction des âmes vers l'essence cryptique - Platon avec sa dialectique, Pascal avec le renversement du pour au contre -, admet plusieurs degrés de vérité. Le voilà bien, le « pieux mensonge », celui qui est plus vrai que la vérité même.
§ Ce texte, tiré de l’ouvrage L’Ironie ou la bonne conscience de Jankélévitch, met en lumière le problème de la vérité et des degrés de vérité. En effet, si la vérité est nécessaire, il n’en reste pas moins dans ce texte que toute vérité ne semble pas bonne dire. C’est donc le point de vue du récepteur de la vérité que prend ce texte au sens où chacun ne peut pas entendre une vérité de la même manière.
§ Il semblerait onc qu’il y ait des degrés de vérités correspondant aux degrés de maturité de l’esprit de l’homme, et c’est la thèse que semble soutenir Jankélévitch. Il y aurait donc une corrélation entre histoire et vérité et plus précisément entre histoire et durée de la conscience et vérité.
§ Qui plus est, Jankélévitch semble par là critiquer les penseurs de la vérité qui mettent en lumière la nécessité de dire la vérité et de la connaître, tout en mettant en place des systèmes qi reconnaissent implicitement que la vérité ne peut se donner à tous les esprits de la même manière et selon le même degré.
§ Le problème qui se pose est alors le suivant : comment Jankélévitch parvient-il dans ce texte à mettre ne exergue l’idée selon laquelle la vérité nécessite d’être donnée selon des degrés, ces degrés n’étant pas inhérents à la vérité elle-même mais au sujet qui doit la recevoir, faisant de la nécessité de dire toute la vérité en bloc une absurdité et ouvrant ainsi sur une critique des penseurs de la vérité qui refusent le mensonge et l’illusion tout en acceptant de « pieux mensonges « ?
 

« semble soutenir la thèse selon laquelle la vérité peut parfois être insoutenable, et selon laquelle ilapparaît plus difficile parfois d'entendre la vérité que de la dire.

Dès lors, toute écoute de la véritéserait active et non simplement passive, ce qui pourrait engendrer toutes sortes de réactions de lapart de celui à qui on révèle la vérité. § Dès lors, c'est la maturité et la capacité de compréhension de l'esprit sui s'apprête à recevoir unevérité qui est ainsi mise en question.

En effet, Jankélévitch semble vouloir dire que tout esprit n'estpas nécessairement apte à entendre la vérité sur toute chose.

Ce texte semblerait donc s'inscriredans le domaine de la pratique, et non dans le domaine théorique où la vérité sert notre connaissancedu monde et des choses.

Néanmoins, c'est bien la vérité en général qui est évoquée au sens où si ellepermet de faire avancer la connaissance et est par là nécessaire, il n'en reste pas moins qu'elle doitparfois être amenée de manière particulière, par métaphore ou autre afin de na pas choquer.

On peutpenser ainsi dans le domaine théorique à la vérité de l'héliocentrisme qui a été vécu comme unehumiliation pour l'homme qui découvre alors qu'il n'est pas le centre de la terre.

Toute vérité pouvantêtre difficile à entendre nécessite alors des précautions de la part de celui qui la dit. § Cette conception de la vérité semble alors contrevenir à toutes les positions philosophiquesrevendiquant la nécessité de la vérité afin de sortir de l'erreur et de l'illusion t qui veulent que lavérité, même si elle apparaît difficile vaut mieux que l'erreur.

C'est en outre la position de Pascal quicritique cette contingence de la vérité qui consiste pour la personne détentrice de la vérité à prendredes précautions suivant la personne concernée.

Ainsi écrit-il dans les Pensées : « ...

chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité, parce qu'onappréhende plus de blesser ceux dont l'affection est plus utile et l'aversion plus dangereuse.

Un princesera la fable de toute l'Europe, et lui seul n'en saura rien.

Je ne m'en étonne pas : dire la vérité estutile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parce qu'ils se font haïr.

Or ceuxqui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu'ils servent ; et ainsi, ilsn'ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes.Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes ; mais lesmoindres n'en sont pas exemptes, parce qu'il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer deshommes.

Ainsi, la vie humaine n'est qu'une illusion perpétuelle ; on ne fait que s'entre-tromper ets'entre-flatter […].L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même et à l'égard desautres.

Il ne veut pas qu'on lui dise la vérité, il évite de la dire aux autres ; et toutes ces dispositions,si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son cœur ». § Cette précaution prise pour dire la vérité serait donc source d'hypocrisie, de tromperie, de mensongeentre les hommes.

Néanmoins, la position de Jankélévitch semble différente au sens ou il considère lacapacité du sujet à comprendre la vérité, insérant la vérité dans l'histoire. II) Vérité et histoire. § Jankélévitch pose la question de savoir si la vérité est historique au sens où elle se développeraitau fil de l'histoire ou si c'est la conscience de l'homme qui, au fil du temps, est de plus en plusapte à comprendre et connaître la vérité.

Ce questionnement semble se rapprocher de laconception bachelardienne de la vérité.

En effet, selon lui, dans la Formation de l'esprit scientifique, toute vérité est une erreur rectifiée.

Les chaînes d'erreur et de vérités s'enchaînent constamment dans la pensée scientifique, et ce, au gré des découvertes qui se font sur le réel.Or, les nouveaux instruments, la précision toujours plus fine des appareils de mesure et lesconnaissances déjà acquises ainsi que l'intersubjectivité à l'œuvre au sein de la communautéscientifique permettent un progrès constant au sein de la vérité des choses du monde, c'estmême ces connaissances qui créent le monde et permettent la vérité.

La vérité est donc ce quiest toujours en progrès et de fait le changement qui la caractérise n'est pas la marque de sonéchec mais bien plutôt la marque de son évolution ascendante vers une connaissance toujoursplus poussée des choses.

La vérité est donc changeante au sens où elle est toujours remise enquestion et affinée par les progrès de a communauté scientifique. § Dès lors pour Jankélévitch, l'esprit ne serait pas toujours apte à recevoir la vérité selon sonavancement.

De même que chez Bachelard, il existe trois formes d'esprits selon l'avancée de laconnaissance, l'état concret, l'état concret-abstrait, et l'état abstrait ou esprit scientifique, demême pour Jankélévitch, il y aurait des degrés dans la capacité de l'esprit à recevoir la vérité et àla comprendre. § Il faudrait donc donner la vérité graduellement, afin que l'esprit se forme pour la recevoir et lacomprendre correctement, afin qu'il parvienne à passer « de la lettre à l'esprit ».

Ce lui qui connaîtla vérité et veut la dire doit donc s'adapter à l'âge de son interlocuteur.

Il y a des degrés de véritéqui ne sont pas inhérents à la vérité elle-même mais qui dépendent de la personne à la quelle ons'adresse. § C'est ainsi que fonctionne la dialectique platonicienne qui avance par paliers de vérité : les imagesdes choses sensibles, les choses sensibles elles-mêmes, les vérités mathématiques, jusqu'aux. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles