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HEGEL et l'expérience

Publié le 23/04/2005

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hegel
L'expérience commune énonce elle-même qu'il y a pour le moins une multitude de choses contradictoires, d'organisations contradictoires, etc., dont la contradiction n'est pas présente simplement dans une réflexion extérieure, mais dans elles-mêmes. Mais, en outre, la contradiction n'est pas à prendre simplement comme une anomalie qui se rencontrerait seulement ici et là, car elle est le négatif dans sa détermination essentielle, le principe de tout auto-mouvement, lequel ne consiste en rien d'autre que dans une présentation de cette même contradiction. Le mouvement sensible extérieur lui-même est son être-là immédiat. Quelque chose se meut seulement, non pas en tant qu'il est ici dans ce maintenant et là-bas dans un autre maintenant, mais en tant que, dans un seul et même maintenant, il est ici et non ici, en tant que dans cet ici il est en même temps et n'est pas. On doit concéder aux anciens dialecticiens les contradictions qu'ils mettent en évidence dans le mouvement, pourtant il ne s'ensuit pas que, pour cette raison, le mouvement n'est pas, mais que le mouvement est la contradiction étant-là elle-même. [...] Quelque chose est donc vivant seulement dans la mesure où il contient dans soi la contradiction et, à vrai dire, est cette force qui consiste à saisir dans soi et à supporter la contradiction. HEGEL
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« contradiction, et c'est en ce sens que celle-ci est essentielle et non « anormale ».Mais tout ce que nous venons de dire ne renvoie qu'à l'esprit.

Qu'en est-il de la contradiction dans sonrapport à la réalité ? Nous rencontrons à nouveau une formule hermétique : elle est « le principe de toutauto-mouvement, lequel ne consiste en rien d'autre que dans une présentation de cette même contradiction», formule complétée par la suivante : « le mouvement sensible extérieur est lui-même son être-là immédiat».

On le voit, la notion de mouvement est la clef, et c'est l'expérience universelle du changement quiconstitue la visibilité de la contradiction.Qu'est-ce, en effet, que changer ? C'est devenir autre.

Or, ce « devenir autre » n'est pas nécessairementprovoqué par une agression extérieure destructrice, puisqu'il existe de l'« auto-mouvement », et puisquetout être, et pas seulement humain, aspire à développer ses possibilités, comme on le constate par exempleface à n'importe quel phénomène de croissance.

Chaque être contient donc en lui le principe d'un « devenirautre », ce qui veut dire que ce qu'il est, il ne l'est pas totalement et pas encore.

Autrement dit, tout êtreporte en lui sa propre contradiction, qui rend possible son développement.Mais soyons plus concrets (car paradoxalement ce texte de Hegel manifeste un grand souci de prendre encompte la réalité concrète) : l'expérience la plus immédiate qui soit, c'est la vision d'un mouvement, carquelle expérience ferions-nous d'un être parfaitement immobile au sein d'un monde tout aussi figé ? Or, lemouvement est en lui-même contradictoire, et rassemble en lui l'être et le non-être : « quelque chose semeut seulement, non pas en tant qu'il est ici dans ce maintenant et là-bas dans un autre maintenant, maisen tant que, dans un seul et même maintenant, il est ici et non ici, en tant que dans cet ici il est en mêmetemps et n'est pas ».

Cela signifie tout d'abord que décomposer le mouvement n'est pas le réaliser.

Lemouvement suppose en effet une continuité, et non une suite d'instantanés.Supposons alors que nous nous posions une question qui paraîtra peut-être parfaitement idiote : quand noussommes en train de regarder un coureur, au moment où il passe devant nous, où est-il exactement ? Cettequestion, en fait, est un classique de la philosophie antique, et c'est à cela que fait allusion Hegel lorsqu'ilparle des « anciens dialecticiens ».

L'habitude s'est prise de parler des sophismes de Zénon, philosophedisciple de Parménide, qui « démontrent » l'impossibilité du mouvement.

Il s'agit en réalité de quatreparadoxes qui tous ont trait à la contradiction du mouvement, et celui qui est le plus approprié pour illustrerl'argumentation de Hegel est celui de la flèche.

A chaque instant de son mouvement, une flèche lancéeoccupe un espace égal à elle-même.

Comment peut-elle donc s'avancer vers un point donné sans grandir nià l'une ni à l'autre de ces deux extrémités ?Mais puisqu'il s'agit d'un paradoxe destiné à forcer la méditation, questionnons la question elle-même.

Quelleen est la portée ? Faut-il en conclure que le mouvement n'est pas, et que la flèche ne se déplace qu'« enapparence » ? Ce ne serait guère sérieux.

Mais il y a beaucoup plus simple.

Si le mouvement a quelque chosede contradictoire, ce n'est pas parce qu'il n'existe pas, mais bien parce qu'il est « la contradiction étant làelle-même », ou si l'on préfère parce qu'il est la manifestation irrécusable de la réalité de la contradiction.La pensée n'a donc pas à exclure cette dernière, mais bien plutôt à l'intégrer à son propre devenir, sans quoielle ne serait qu'une pensée morte.

En effet, la contradiction est au coeur de la vie elle-même, et enconstitue l'essence profonde.

« Quelque chose est donc vivant seulement dans la mesure où il contient danssoi la contradiction ».

Il suffit en effet pour le démontrer de remarquer que la vie implique le changement.Allons même un peu plus loin : la vie suppose son contraire, la mort, comme sa condition ; et inversement, lamort n'existe que par rapport àla vie.

Ainsi, vivre c'est « saisir dans soi » et « supporter » la contradiction, c'est porter en soi le principe deses changements, ce qui peut s'exprimer en disant qu'un être n'est vivant que dans la mesure où il n'est pastout à fait ce qu'il est.

La réalité n'est donc pas une sorte de bloc compact éternellement semblable à lui-même.

Au contraire, ce qui est éternel, c'est le changement (autre contradiction profonde inscrite au coeurde l'être), par ce jeu du « devenir autre » qui fait que chaque chose porte en soi sa différence d'avec elle-même.Il reste à se demander quelles sont les conséquences à tirer de cette réhabilitation de la contradiction.Hegel veut-il par-là poser une sorte de droit à se contredire, quitte à renoncer pour cela à l'exigence decohérence et de rigueur qui caractérise la pensée philosophique ? Une telle interprétation relèverait ducontresens.Rappelons ce que nous avons dit au commencement de l'explication : pour Hegel, « tout ce qui est rationnelest réel, tout ce qui est réel est rationnel ».

Son projet est donc de réconcilier l'esprit et la réalité.

Or, c'estl'expérience de la contradiction qui rend problématique cette réconciliation, et qui peut pousser à rejeter unepartie de la réalité sous le prétexte qu'elle serait impensable.

Mais puisque tout ce qui est réel est rationnel, la contradiction doit pouvoir être appréhendée par l'esprit.

Ilfaut pour cela que la pensée s'ouvre à la différence.

Le dogmatisme tend, au nom de la vérité, à refusertoute discussion, puisque ce qui est vrai serait définitivement fixé dans les formules qui l'expriment.

Lescepticisme, qui est apparemment son contraire, prend prétexte de la contradiction pour interdire l'accès àune quelconque vérité.

Résumons : s'il y a une vérité, alors il ne sert plus à rien de discuter ; et s'il n'y en apas, alors il ne sert à rien de discuter non plus.

Tel est le cercle infernal dans lequel nous enfermel'opposition entre l'esprit dogmatique et l'esprit sceptique, et l'on voit ici la solidarité qui existe entrel'acceptation de la contradiction et la possibilité du dialogue.Mais ni le dogmatique ni le sceptique ne prennent en compte la réalité vivante de la pensée, laquelles'incarne justement dans le dialogue, éventuellement avec soi-même.

Penser, cela implique donc de ne pasnier la contradiction, et en même temps de ne pas accepter qu'elle ait le dernier mot.

La contradiction nesaurait être une nouvelle manière d'arrêter la pensée mais bien au contraire elle est ce qui oblige à penser. »

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