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Faut-il travailler pour vivre ou vivre pour travailler ?

Publié le 22/02/2012

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Volet 1 - Les contradictions du travail De la Bible aux Lumières, le labeur a longtemps été considéré comme une corvée, voire une malédiction. Or depuis la fin du 18° siècle, toutes les sociétés modernes ont mis le travail au centre de leurs préoccupations, en suggérant qu'il pouvait être autre chose qu'un châtiment ou une pénitence. Pour prendre la mesure de cette évolution, il suffit de constater comment notre travail définit qui nous sommes ; ainsi lorsque nous rencontrons quelqu'un pour la première fois, la première question posée n'est pas « d'où venez-vous, qui êtes-vous ? » comme l'usage le prévaut dans les sociétés traditionnelles, mais « que faites-vous dans la vie ? ». Ceci forge une conviction partagée par le plus grand nombre : le travail contribue à construire notre identité. Jadis, le travail offrait à l'Homme la possibilité de se réaliser dans son environnement et dans le monde. De nos jours, le travail occupe une position beaucoup plus ambiguë : l'être humain se plaint de son travail, mais il est bien heureux d'en avoir un ; quand il n'en a pas, il en recherche un, parfois désespérément. Quand il en a un, il en souffre, parfois jusqu'à la dépression, voire le suicide.

« par Taylor, le travailleur n'a plus guère la possibilité d'exprimer sa singularité : pas question de produire une pièceouvragée ou fantaisiste qui ne respecte pas le cahier des charges.

L'organisation taylorienne du travail a grignotépeu à peu les espaces de liberté individuelle : l'ouvrier est contraint d'imiter le geste standardisé, extérieur à lui-même, alors que l'artisan peut faire de son geste un monde pour soi, à sa manière, qui traduit son intériorité, sa «poétique » du travail, son oeuvre.

Comme l'indique la philosophe Hannah Arendt1, il faut cantonner le travail dans sadimension vitale et physique pour qu'il n'envahisse pas le reste de la réalité humaine.

Sauvegarder les espaces del'oeuvre et de l'action de l'Homme, c'est ne pas réduire celui-ci au travailleur.

S'il n'est plus capable de créer desoeuvres ou d'agir avec les autres, le travailleur se voit réduit à son statut de consommateur.

Au final, il se retrouveainsi non seulement aliéné par son travail, mais aussi par son statut de travailleur-consommateur. Volet 3 - Hypothèse 2 : le travail, une possession qui dépossède le travailleur, une dépossession qui lepossède Comme nous venons de le voir ci-dessus, le malaise ou le mal-être au travail vient du fait que l'on est de plus en plus extérieur à son travail, que le travailleur a de moins en moins prise sur le sens de ce travail.

Commel'explique le philosophe Guillaume Le Blanc2, travailler dans une organisation taylorienne, c'est en général être placéchez les autres, hors de soi, tout simplement parce qu'on n'a pas conçu le « prescrit » du travail que l'on subit, ni leprojet d'entreprise, encore moins la finalité et le contenu du poste qu'on occupe, qui peuvent être en contradictionavec ses valeurs.

La dématérialisation grandissante du travail (via l'informatique et les télécoms) neutralise l'Autre.En le « virtualisant », elle donne l'illusion d'être « à son écoute » et de toucher un grand nombre de personnes :c'est le cas du travail en « centre d'appels » (cf.

encadré ci-dessous).

Le travail, dans ce contexte, atteint sonparadoxe le plus criant : « l'écoute » des autres (les clients), cadrée par un logiciel et par des procédures, estobtenue à la condition que l'écoute de soi puisse être annulée.

En effet, la singularité, l'improvisation n'y ont pasleur place, il faut optimiser les contacts avec les clients, aller au plus court, au plus efficace.

Une telle aliénationprovient de l'impossibilité de se rapporter à soi mais au script du logiciel (conçu par d'autres que soi et extérieur à lasingularité de chaque opérateur).

Cette impossibilité d'inventer des gestes pour soi dans le travail, à causenotamment de la surveillance du script et du contrôle du superviseur, se prolonge aussi par la difficulté d'un usagede soi hors du travail (quand les journées font 12 ou 14 heures d'affilée ou que le travail continue dans sa têteaprès le travail...).

P.R., technicien d'accueil client dans un centre d'appel pour un opérateur télécoms « [...]L'ordinateur suit à la trace tout ce que je fais...

C'est un métier assez fatigant.

[...] On est comme dans un box,[...] attaché à l'ordinateur.

On suit un script avec des phrases types.

Notre autonomie est très faible.

Il y a unedéshumanisation, et les clients se rendent compte qu'on ne parle pas toujours naturellement...

On n'a même pasbesoin de penser...

Du fait d'être surveillé en permanence, on se sent isolé, on a peu de relations avec noscollègues.

Quand on sort, on est vidé comme si le client aspirait notre moral...

Aujourd'hui, beaucoup de gensacceptent ce genre de travail parce qu'ils n'ont rien d'autre.

On ne peut pas faire ça quarante ans dans sa vie,même s'il faut bien travailler pour vivre.

» 1 Hannah Arendt compare le travail, l'oeuvre et l'action dans son ouvrageCondition de l'homme moderne, Paris, Press Pockett, 1993, coll.

Agora 2 Interview in Philosophie Magasine, dossier :Je travaille donc je suis ?, février 2008.

Le travail organisé est une affaire de rythme subi, de quadrillage disciplinairede l'espace et du temps.

Le travail devient un carcan de figures imposées quand l'OST est poussée à sonparoxysme.

La répétition de gestes standardisés provoque fatigue, sentiment de dépossession d'un travail vidé detoute initiative.

Comment travailler pour vivre sans vivre un minimum dans son travail ? Dès lors qu'on n'arrive plus àconférer le moindre sens à son métier, « gagner sa vie peut être une occasion de la perdre », précise Guillaume LeBlanc.

Travailler, c'est suivre des règles prescrites, mais cela devrait permettre aussi d'être en mesure de détournercelles-ci : travailler sur (ou contre) le travail pour l'améliorer (ou dénoncer ses absurdités), c'est toujours du travail.Il en est de l'intérêt de l'individu comme de l'organisation.

C'est à cette condition qu'une vie au travail peut devenirune vie décente.

C'est aussi à cette condition que l'organisation peut créer de la valeur lorsqu'elle sait laisser sortirses salariés du processus quand celui-ci devient absurde ou antiéconomique.

Que faire quand parfois les travailleursse trouvent plongés en plein paradoxe, lorsque par exemple, pour reprendre l'exemple de l'encadré ci-dessus, unproblème d'un client n'a pas été prévu par le script ? Faut-il quand même respecter le process (sans pour autantrésoudre le problème du client et risquer de le perdre) ou faut-il sortir du process (et se faire mal voir et mal notépar son chef) pour tenter de résoudre le problème alors qu'il n'a pas été prévu par le script ? Volet 4 - Hypothèse 3: la souffrance du travail, clé de notre bien-être Le travail porte en lui la souffrance ; comme l'indique sonétymologie, tripalium est, en latin, le nom d'un instrument de torture.

Le travail est ce qui permet de circonscrire lasouffrance de l'être face à la vacuité, parfois à l'angoisse existentielle que lui laisse sa liberté d'Homme et quidétermine sa propre réalité, comme le montre Hegel.

Le travail sur la « matière » de la nature qui l'environne estconcret, tangible ; cette confrontation peut être rude, car la matière nécessite un effort pour se laisserappréhender.

Le travail, par l'effort qu'il requiert, permet de diminuer l'inconfort et d'obtenir le réconfort qu'en attendl'individu de par ses besoins primaires (manger, se vêtir, etc.) et secondaires (se loger, avoir du lien social, etc.).Mais les récentes métamorphoses du monde de l'économie financiarisée ont changé la donne en bouleversant le lientraditionnel entre effort et réconfort.

Le travail résout de moins en moins la souffrance.

Bien au contraire, il enproduit en surcroît ; l'être se retrouve de nouveau face à son angoisse existentielle.

Le psychiatre ChristopheDejours3 pense que la souffrance est inévitable parce qu'inhérente au travail, pour une raison simple : entre leprescrit que l'on est censé assumer et la réalité, il y a forcément un écart, un décalage.

C'est ce dysfonctionnementet l'adaptation nécessaire qui provoquent la souffrance.

Le fait que le réel résiste à la maîtrise fait souffrir, d'autantplus que, la plupart du temps, le réel se révèle sur le mode de l'échec.

C'est ainsi que, malgré l'intelligence mise enoeuvre pour respecter malgré tout le prescrit et peut-être même à cause de ces efforts, une dépression peutarriver.

Celle-ci peut, par exemple, être déclenchée par un sentiment d'injustice quand la bonne volonté etl'investissement consentis ne sont pas reconnus, sentiment qui peut être exacerbé par une grande 3 ChristopheDejours, Souffrance en France, la banalisation de l'injustice sociale, Le Seuil, 1998.

solitude et par l'absence desolidarité face aux difficultés.

L'immense solitude dans laquelle vivent les individus au travail aujourd'hui a d'ailleursplus d'incidences sur la santé mentale que le harcèlement, qui a toujours existé.

Mais le travail procure aussi du. »

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