Faut-il communiquer pour échapper au rapport de force ?
Publié le 27/02/2008
Extrait du document
«
- C'est donc par la finalité du discours que se distinguent philosophie etsophistique, celle-ci s'appuyant sur l'opinion et recherchant le vraisemblable,celle-là se moquant de la doxa et visant la vérité.
Philosophie et sophistique ont pourtant en commun un certain art du discours, qui n'exclut pas lapersuasion.
Bien au contraire, la philosophie ne peut se passer de celle-ci bienqu'en aucun cas elle ne s'y réduise (cf.
Pascal, De l'esprit géométrique , en part.
II, « De l'art de persuader »).
- Il semble dès lors d'une part impossible d'échapper complètement au rapportde force, lequel fait retour au cœur même du discours, la persuasion venantprendre le relais de la contrainte physique.
Faut-il abandonner pour autanttout espoir d'échapper au rapport de force ? En nous appuyant sur Platon et Aristote, nous avons pu distinguer entre laphilosophie et la sophistique en fonction de leur fin, la philosophie seconstituant comme recherche de la vérité et de la vertu (cf.
la définitionaristotélicienne de la « vie théorétique », Ethique à Nicomaque , X, 7).
Or, si le sophiste se contente d'enseigner l'art de la joute oratoire, la philosophievise à en faire un bon usage.
L'activité de communication est doncsubordonnée à la quête de la vérité : c'est par le dialogue (la maïeutiquesocratique) qu'on pourra trouver celle-ci.
Pour cela, il faut que lesparticipants au dialogue acceptent des règles communes de débat rationnel(cf.
Euthydème par ex.) Or, la première de ces règles consiste à expulser la violence hors de la cité démocratique. Si la communication, comprise dans le sens philosophique du dialogue, n'exclut donc pas les rapports de force,puisque même Socrate continue à utiliser des armes de la sophistique (à des fins nobles), elle créé pourtant unecertaine communauté de valeurs entre les participants au débat philosophique.
Or, puisque l'activité philosophiquevise la vertu, et que la justice constitue la vertu la plus haute, celle-ci impose de substituer aux rapports de forcepure des rapports justes.
Conclusion Toute communication ne permet donc pas d'échapper au rapport de force.
En ce sens, la finalité de lacommunication n'est pas, en soi, d'éliminer les rapports de force, mais seulement de substituer le logos à la violencemuette.
Or, certains usages du discours n'éliminent en rien les rapports de force, comme le montre l'exemple de lasophistique, la fable du loup et de l'agneau ou encore le « marketing » politique ou commercial, qui réduit lacommunication à la transmission d'un ordre (cf.
Deleuze et Guattari, Mille plateaux , n°4.
20 novembre 1923, « Postulats de la linguistique », en particulier pp.95-109 : « Le langage n'est même pas fait pour être cru, mais pourobéir et faire obéir (…) On s'en aperçoit dans les communiqués de police ou de gouvernement, qui se soucient peude vraisemblance ou de véracité, mais qui disent très bien ce qui doit être observé et retenu.
»).
La communicationdoit donc plutôt être définie comme l'essai de formaliser et de réguler les rapports de force : comme le montraitRousseau dans le Discours sur les origines et les fondements de l'inégalité (cf.
2 nde partie), c'est par le discours qu'on transforme la force en droit (cf.
aussi Du contrat social , I, 3, « Du droit du plus fort »). Si la communication échoue à éliminer les rapports de force, elle les transforme néanmoins.
Or, dès lors que cettecommunication n'a plus pour seul et unique but de faire vaincre l'un des interlocuteurs, mais principalement de faireprévaloir la vérité en établissant une recherche commune, fondée sur des présupposés communs (ainsi descommunications faites dans le cadre scientifique), elle ne repose plus uniquement sur des rapports de force, maisconstitue aussi une communauté (de chercheurs, d'amis, etc.) partageant un ensemble d'idéaux et de valeursirréductibles à la force pure..
»
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