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Expliquez et discutez cette pensée de Rousseau: "J'aime mieux être homme à paradoxes qu'homme à préjugés (Emile, Livre II). ?

Publié le 06/04/2009

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Paradoxe, préjugé, deux défauts, deux excès par rapport à la pensée honnête, sincère. Quand Rousseau écrit : « J'aime mieux être homme à paradoxes qu'homme à préjugés «. on a envie de trouver l'opposition un peu facile et de lui répondre que le mieux est de penser juste, et que l'homme à paradoxes comme l'homme à préjugés tiennent en réalité trop de compte de l'opinion des autres, alors que le plus simple serait de chercher à établir la vérité sans se demander si on est en accord ou en opposition avec les idées reçues. En fait, la pensée de Rousseau est difficile à expliquer parce qu'elle peut se situer sur deux plans assez différents : sur un plan strictement individuel, où elle est presque trop évidente (il est bien certain qu'à tout prendre mieux vaut le causeur brillant qui suggère sans cesse des aperçus nouveaux, même s'ils ne sont pas très justes, que l'homme pontifiant et satisfait de quelques lieux communs sur la nature éternelle des choses): sur un plan social, collectif, politique, où elle apparaît alors comme extrêmement dangereuse (l'homme à paradoxes risque d'être celui qui entraîne une nation dans des aventures folles au lieu de tenir compte de la solidité des faits : on pense à Picrochole en face de Grandgousier, dans Gargantua). Mais il est évident que ni l'une ni l'autre de ces deux perspectives n'est tout à fait exacte si on la prend dans l'absolu : il faut éclairer et limiter la portée de ce mot par son contexte historique, c'est-à-dire par le XVIIIe siècle et par Rousseau lui-même. Nous serons alors plus à l'aise pour apprécier sa signification véritable.  

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« était anéanti »...; « Tout animal a des idées puisqu'il a des sens », etc.• débuts de livres et de paragraphes: le fameux début de V Emile : «Tout est bien, sortant des mains de l'auteurdes choses; tout dégénère entre les mains de l'homme »; le début du chapitre I du livre I du Contrat social: «L'homme est né libre, partout il est dans les fers.

» Ces paradoxes de détail cachent souvent les timiditéspostérieures, ignorent les nuances (tout ou rien), procèdent par balancement entre deux positions extrêmes, ce quiôte à la pensée toute allure moyenne.• enfin le paradoxe essentiel, celui qui assure l'unité de l'œuvre : « l'homme est bon » : paradoxe aux yeux duchristianisme, surtout janséniste, mais non pas pour les philosophes du temps.

« et la société le déprave » : voilà leparadoxe aux yeux du siècle de Rousseau et aux yeux des philosophes ses contemporains.

Ce paradoxe sefragmente dans le Discours sur les Sciences et les Arts (1750).

qui nous paraît aujourd'hui factice, mais qui étaitpour Rousseau une libération, le sens de toute sa vie, contre le préjugé des lumières et de leur prétendue valeurmorale (à l'occasion des discussions postérieures, Rousseau, par un mouvement de recul devant les applicationspratiques, montrera bien ce qu'il y avait là pour lui de paradoxe); dans le Discours sur l'origine de l'inégalité (1755) :contre le préjugé des privilèges sociaux; mais c'est bien un paradoxe, car, comme il le dit lui-même : « Commençonsdonc par écarter tous les faits.

» Cependant son idéal n'est pas la sauvagerie primitive, c'est la société patriarcale;mais pour reconstruire celle-ci, il doit faire fi des préhistoires reçues, Bible, Grèce, etc.

D'où sa déclaration, ceparadoxe initial qui consiste à refuser de raisonner sur des faits : « Commençons donc par écarter tous les faits, carils ne touchent point à la question.

» Ce paradoxe se fragmente encore dans Du Contrat social (1762) : contre lepréjugé d'une autorité fondée sur la tradition et le droit divin, l'idée qui consiste à supposer à la base de toutpouvoir un pacte garantissant certains droits par abdication du droit naturel.

Là encore paradoxe, car ce pacte n'apas de réalité historique, mais renvoie au paradoxe de base : la politique naturelle est bonne, c'est ce qu'en ont faitles hommes qui l'a dépravée: dans l'Emile (1762): nombreux paradoxes qui sont au cœur même du système (jusqu'àde petits détails symboliques, comme chez le nourrisson, la suppression du maillot, représentant la contraintesociale) et qui vont contre les préjugés de la médecine, des livres, de l'éducation oppressive, etc.: dans La NouvelleHéloïse (1861): un paradoxe incarné ·.

M.

de Wolmar rapprochant Julie et le précepteur contre le préjugé de lajalousie, et toute une société (le « phalanstère » de Clarens) se bâtissant sur cette morale élargie et « paradoxale». 2 Explication par le caractère de Rousseau.

Pour comprendre Rousseau, il faut le connaître, sur le plan moral et surle plan intellectuel :• caractère moral : timide dans la vie, éloquent la plume à la main seulement, d'où un certain malaise qui l'oppose àtoutes les formes de vie sociale; mais aussi orgueil, conscience de sa différence avec les autres hommes: peut-êtreenfin besoin de scandale et de provocation.

Quoi qu'il en soit, il a le sentiment de ne valoir quelque chose que dansla mesure où il s'écarte du préjugé: il lutte, plus que contre autrui, contre lui-même, contre celui qui.

de 1742 à1749.

a cherché à être un mondain : si bien que la fameuse illumination de 1749 lui est apparue comme unelibération : la libération du Rousseau de ses rêves contre le Rousseau qui s'enlisait dans la vie quotidienne.

Aussic'est d'abord par sa vie qu'il faut expliquer son paradoxe, avant de le faire par la logique abstraite.

Est-ce à dire quecette logique soit absente du paradoxe de Rousseau?• mécanisme intellectuel du paradoxe : ce serait en effet méconnaître totalement la nature du paradoxerousseauiste que de le réduire à un simple réflexe affectif.

S'il y a paradoxe, c'est dans le point de départ, qui.

lui.n'est jamais une inquiétude intellectuelle, mais plutôt un sentiment indéfini (malaise, illumination).

Sur cette base,Rousseau se révèle un logicien féroce, constructeur de systèmes parfaits.

D'où une certaine imprécision, due non àla force dialectique -jamais en défaut, mais à l'obscurité des définitions.

C'est ainsi que l'idée de nature n'est guèredéfinie; de même, la vertu est plus un centre d'exaltation qu'un concept clair : c'est tantôt l'ascétisme à la romainedu citoyen de Genève (Fabricius, XVIIIe Siècle.

p.

230): tantôt l'innocente anarchie dans une obéissance sanscontrainte aux instincts (le « bon sauvage »).

Le plus curieux d'ailleurs, c'est que la conclusion, après une démarchedans le rêve, retourne au réel, que son esprit théoricien ne masque pas totalement à Rousseau. 3 Rousseau, l'homme différent.

Le paradoxe apparaît donc comme intimement lié au secret de la valeur de Rousseau.Rousseau a été hanté par deux problèmes : qui suis-je et où donc est le bonheur? Or il se conçoit comme « l'hommedifférent » et il croit de plus que son devoir est de se montrer tel : « Barbants hic ego sum quia non intelligor illis: Jesuis ici un barbare parce que je ne suis pas compris d'eux ».

telle est l'épigraphe empruntée aux Tristes d'Ovide, queRousseau met en tête de ses Dialogues.

Et s'il n'est pas compris d'eux, s'il est l'homme différent, c'est parce qu'il seveut homme moral dans une société corrompue (contre Voltaire), ayant le culte de la famille, de la franchise (cf.dans La Nouvelle Héloïse, l'aveu de Julie à M.

de Wolmar et le projet des Confessions), du travail même manuel, de laconscience et de la vertu.

Il donne peut-être volontairement dans le ridicule, mais cela même est bien à ses yeux,car cela le « rejette ».

Il est encore différent parce qu'il est l'homme simple dans une société compliquée à qui leluxe est nécessaire (cf.

Fénelon); il a un culte religieux pour la nature (à la différence des citadins horticulteurs).Enfin il se veut l'homme profond dans une société superficielle, qui n'a pour le sérieux (les larmes) qu'un goûtpassager.

Lui recherche le sublime, croit en l'Être suprême, a le sentiment du néant et de l'éternité.

Le paradoxeapparaît donc bien au cœur de l'œuvre de Rousseau à la fois comme secret de son influence et des résistances quecelle-ci rencontra : par son goût du paradoxe il mit en circula-lion, bien plus que des réformes précises, un étatd'esprit et des idées générales (on oublia ses timidités postérieures).

On lui doit, en éducation, la méfiance del'intellectualisme, le goût de la leçon de choses; en politique, la confiance dans la valeur profonde des révolutions.Tout cela, c'est la fièvre et le caractère orageux de Rousseau qui l'inspirent.

Mais également les résistancesviennent de ce goût du paradoxe, de ce manque de nuances et d'équilibre, de cette oscillation du rêve à la réalitéqui crée un malaise.

Ce malaise a commencé très tôt : une intéressante correspondance entre la duchesse deChoiseul et la marquise du Deffand en témoigne.

Dans une lettre du 17 juillet 1766.

Mme de Choiseul présenteRousseau comme une espèce d'inquiétant charlatan de vertu qui.

« d'une bonne morale », a « tiré des. »

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