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Est-il vrai que toutes les opinions se valent ?

Publié le 20/07/2009

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Si on fait de la tolérance un principe de conduite et de jugement, on doit alors respecter les façons de penser différentes des siennes, sans quoi il n’y a pas de pluralisme possible. La prudence comme la modestie commandent de renoncer à prendre son point de vu comme le seul bon. La formule : «à chacun son opinion«, issue de la sagesse populaire, peut être symptomatique d’une attitude adéquate, consensuelle et tempérée. Mais est-il vrai que toutes les opinions se valent ? Si le dogmatisme propre aux esprits étroits doit être pourchassé, mettre sur un pied d’égalité toute forme d’expression équivaut à une capitulation de l’esprit critique. Toutes les opinions sont-elles tolérables ? Ne se rend-on pas, au moins passivement, complice de ce qu’on ne se résout pas à dénoncer ? Refuser de statuer sur les valeurs revient à ignorer toute différence entre le vrai et le faux comme entre le bien et le mal. Sous le masque de la conciliation peut se cacher l’indifférence, voire la lâcheté.

« Dire « à chacun son opinion » consiste trop souvent à se dispenser de l'effort d'examiner les différente idéesdisponibles.

Cette commodité est d'autant plus pernicieuse qu'elle se donne l'allure de la vertu et de la tolérance.

Enfait, la tolérance perd son sens si on la confond avec la licence, le refus de toute prohibition.

Si tolérer, c'etaccepter, laisser carte blanche à la promulgation des idées, cette valeur ne dilue-t-elle pas complètement, ne faut-il pas fixer des limites à la tolérance ? Faut-il tolérer l'intolérable, et l'intolérant ? En fait ces considérationssoulèvent une difficulté pratique pour le démocrate.

Un slogan libertaire dit qu'il « est interdit d'interdire ».

Séduisantprogramme, mais dont l'application s'oppose au réalisme.

En effet en ce qui concerne les opinions, certains à la foiss'opposent à la liberté d'expression tout en demandant qu'on la leur accorde pour propager leurs idées.

Leurmauvaise foi est d'autant plus vicieuse qu'elle pousse à se rendre coupable de ce dont on les accuse.

Certes il y acontradiction, car pour sauver la liberté d'expression, il faut commencer peut-être par faire une entorse au principedont on se réclame : « pas de liberté pour les ennemis de la liberté ».

Assumer le risque de cette contradiction,c'est faire preuve de fermeté d'esprit en reconnaissant des principes intangibles et la primauté des valeurs morales.Ne serait-ce pas parce que les préjugés absurdes, motivés par la haine irrationnelle par exemple, ne sont pas descasmarginaux, qu'un observation même distraite peut nous révéler leur possible impact désastreuxsur la cohésion d'unesociété, il est inacceptable de refuser de discriminer des opinions contraires au respect de la dignité humaine.Accepter toutes les opinions ne vaut que pour une société de gens raisonnables, où les différences d'appréciationne vont jamais jusqu'à menacer la morale.

Hélas l'existence irréductible d'opinions outrancières, même minoritaires,condamne l'application sans restrictions de cet état d'esprit comme peu responsable.

D'ailleurs même si on se basesur le fameux principe de l'égalité des personnes en droit, cela, implique certes une même possibilité pour chacund'affirmer ce qu'il pense, mais aussi corrélativement un même droit d'exercer son esprit critique et de rejeter d'autresopinions, la possibilité de produire et aussi de subir des objections, et la même obligation de répondre devant la loid'éventuels excès dans l'usage de sa liberté d'expression. N'oublions pas le caractère de l'opinion qui ne désigne qu'un état de fait : ce que l'on pense, indépendamment de laquestion de droit : pourquoi on le pense.

Les opinions sont réputées variables, versatiles.

Elles changent selon lesindividus, et même chez une même personne, en fonction des modes et des humeurs.

Il est vrai qu'il serait tentantde se résigner à prendre acte de la diversité des opinions comme d'une réalité acquise, chacun ayant de bonnesraisons de penser ce qu'il pense à son point de vue, selon son expérience et ses intérêts, l'aristocrate trouvantlégitimement des vertus à la féodalité, le travailleur exploité à la révolution.

C'est contre cette tentation relativiste(« il y a la vérité propre à chacun ») à laquelle s'abandonnent notamment les sophistes, ainsi Protagoras pour qui «l'homme est la mesure de toutes choses », que la philosophie de Platon va s'élever.

Pour les sophistes en effet, siaucune opinion n'est meilleure qu'une autre, si toutes sont subjectives, alors ce qui les différencie n'est pas leurvérité mais l'habileté rhétorique de celui qui les défend.

La porte est ouverte à la contradiction, on peut dire unechose et son contraire, à condition qu'on le dise bien, la manipulation démagogique est alors un risque présent. On doit au contraire soutenir l'existence d'une vérité exclusive sur une question, stable et pérenne, sinon on risqued'être pris pour une « girouette ».

Certaines conceptions de la justice, trop permissives ou trop sévères, amènentl'injustice.

Sur la question de goût artistique, on ne peut se satisfaire toujours de l'adage : « des goûts et descouleurs, on ne discute pas ».

Renvoyer dos à dos tous les jugements, celui de l'expert légitime et celui de l'ignorantrevient à perdre son esprit critique, c'est-à-dire être incapable de passer au crible, de trier et différencier ce quidoit l'être.

Le nivellement de toutes les opinions sur un même échelon de valeur reviendrait à un renoncement àl'usage de la raison qui est précisément l'instrument qui permet de juger dans la morale des valeurs opposées quesont le bien et le mal, et dans la connaissance du vrai et du faux.

Ajoutons qu'outre le risque d'immoralité, cetteattitude aboutit à une incohérence logique : s'il est vrai que toutes les opinions se valent, l'opinion qui dit quetoutes les opinions ne se valent pas vaut l'opinion qui dit que toutes les opinions se valent ! On ne peut pasadmettre un tel sophisme. Il faut dire que cette paresse trouve souvent pour alliée l'indifférence, celle qui consiste à dire : « chacun pense cequ'il veut, dans la mesure où mon confort personnel n'est pas menacé, je n'estime pas utile de réagir ».

Pourtant «qui ne dit mot, consent », ne pas condamner ce qui est grave revient à s'en faire complice, sinon actif, du moinspassif (c'est ainsi qu'est considéré l'attentisme durant la période de l'occupation allemande).

Au sens moral, lesvaleurs impliquent des devoirs auxquels il ne faut pas chercher à se soustraire par des justifications captieuses.

Est-il acceptable d'affirmer qu'on « ne fait pas de la politique » précisément quand la Cité est sous la menace ? Où finitla neutralité et où commence l'opportunisme ? Nous venons de voir qu'admettre l'équivalence des opinions relève sans doute aussi souvent de la négligence que dubon sens.

Le risque d'indifférence n'est pas le moindre reproche qu'on peut faire, ce la est vrai.

Cependant, cettefameuse indifférence, que l'on dénonce comme il est convenu un des grands maux de notre monde individualiste, nepeut-elle pas être revendiquée dans certaines cas comme un droit ? A défaut d'en généraliser le prescription, onpeut repérer certains cas où renvoyer chacun à son opinion semble légitime.

Par exemple, lorsque face à uninterlocuteur borné, la persuasion s'avère inopérante, est-il utile de rentrer dans une vaine logique d'affrontement ?Si la tolérance s'impose, c'est dans un sens restrictif, on accepte, c'est-à-dire qu'on renonce à combattre ce quin'en vaut pas la peine, ce dans quoi on épuisera vainement ses forces.

Notre formule ici n'est pas adhésion aurelativisme, mais plutôt résignation raisonnée devant un état de fait : l'autre pense différemment, mal peut être,mais après tout sa personnalité ne se résume pas forcément à certaines opinions, et le rejet des opinions n'interditpas le respect des personnes.

En outre n'est-il pas vain de s'acharner contre une absurdité dont la capacité denuisance est limitée ?. »

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