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Est-il raisonnable d'opposer théorie et expérience ?

Publié le 17/03/2009

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Est-il raisonnable d'opposer théorie et expérience ?

 

Ce que nous devons d’emblée remarquer, c’est le double registre sur lequel notre sujet intervient : premièrement, c’est le registre de la connaissance et de la science, que l’on peut appeler épistémologique (de épistémè, savoir). En ce sens, l’expérience est la manière que nous avons de connaître une chose (je fais l’expérience de la douleur, par exemple) et la théorie une manière de la mettre en forme, de la systématiser. Deuxièmement, nous trouvons un registre proprement moral, dont on trouve l’indice dans la polysémie du terme « expérience «. En ce sens, l’expérience renvoie à mon action dans le monde (comme lorsqu’on d’une personne qu’elle « a de l’expérience «) et la théorie à une manière de guider cette action (comme lorsqu’on dit de quelqu’un qu’il « a des principes «).

À partir de là, se pose le problème des rapports entre expérience et théorie. Précisément, est-il raisonnable de les opposer ? La question est donc de savoir s’il n’est pas excessif et réducteur de penser que la théorie comme trop générale pour penser l’expérience et, réciproquement, l’expérience trop particulière pour se laisser récupérer par la théorie. Cependant, ce type de questionnement continue d’opposer des termes dont l’opposition est justement mise en question. Dès lors, nous devons nous demander précisément ce que sont l’expérience et la théorie, afin de dénouer les liens qui les rapprochent. Nous pourrons nous demander, par exemple, si l’expérience en tant que telle (sans théorie) existe tout simplement.

 

« Pour Kant, le rapport entre théorie et expérience est plus étroit, puisque l'une suppose l'autre et réciproquement.

En effet, alors que notreperception (expérience) du monde est sans cesse changeante pour Platon,l'expérience que Kant met au jour est structurée de part en part par lescatégories de l'entendement.

Qu'est-ce que cela signifie ? Selon Kant, dans la Critique de la raison pure , la connaissance est la rencontre entre une matière (qu'il appelle intuition) et une forme.

L'intuitionse situe au-delà de la sensation (toucher, vue, etc.), puisqu'elle obéit à laforme de l'espace et du temps, mais en deçà de l'entendement, qui permetjustement de penser cette intuition, grâce des catégories telles que lacausalité, la substance, etc.

L'intuition se situe donc du côté de l' objet (l'impression qu'ils font sur nos sens) tandis que les catégories del'entendement sont inhérentes au sujet , à notre faculté de connaissance. L'application des catégories (formes de l'entendement) à l'intuition (matièrede la connaissance) se fait spontanément (ce n'est pas quelque chose quenous faisons délibérément) et c'est elle qui nous permet de voir des objets quidurent dans le temps (substance), qui agissent les uns sur les autres(causalité), etc.

En somme, la théorie, sous l'espèce des catégories del'entendement, donne forme à l'intuition.

C'est d'ailleurs uniquement lorsquel'intuition est mise en forme qu'on l'appelle « expérience » ; c'est dire le lienqui unit expérience et théorie ! Dès lors, sans théorie nous ne pouvonsconnaître aucun objet, car nous en restons alors à l'intuition, c'est-à-dire à un monde désordonné et inconnaissable, car irrégulier. Cette idée se retrouve aujourd'hui dans les théories scientifiques : en effet, la mise en place d'une expérience n'est possible que si l'on dispose d'une théorie, c'est-à-dire d'un ensemble de thèses, d'hypothèses ou deprincipes que l'on soumet à un test expérimental.

L'expérience, si elle n'est pas interprétée à partir d'hypothèses quila mettent en ordre, ne nous apprend rien et nous met simplement en présence de certains phénomènes.

De cepoint de vue, l'expérience brute n'existe pas à proprement parler : on ne peut nommer « expérience » uniquement cequi se déroule dans le cadre d'une théorie.

Dès lors, il n'est plus possible d'opposer théorie et expérience, puisquel'expérience présuppose la théorie comme sa condition.

III – Aristote et la prudence Si les concepts de théorie et d'expérience nous renvoient à la sphère de la connaissance et de la science, ils évoquent également celle de l'action.

L'expérience indique en effet la connaissance intuitive que nous avons dumonde, connaissance que l'usage nous fournit.

De ce point de vue-là, la théorie semble bien parasiter l'expérience,en sorte que l'on peut « avoir des principes » (ne pas faire l'aumône, etc.), mais ceux-ci s'avèrent souventinadéquats dans le feu de l'action.

Dès lors, il y aurait un domaine, celui de l'action, où l'on pourrait opposer théorieet expérience ? Qu'en est-il ? Pour Aristote, dans l' Éthique à Nicomaque , la phronesis est ce qui guide à proprement parler l'action.

Qu'est- ce que la phronesis ? Le terme désigne à l'origine la même chose que la theoria pour Platon.

Cependant, il prend un autre sens chez Aristote, puisqu'il ne s'agit pas de formuler des principes pour ensuite les appliquer à la lettre dansnos actions.

De ce point de vue, les principes sont toujours trop généraux pour guider l'action.

Ainsi, la phronesis se traduit par « prudence ».

Dès lors, l'homme prudent n'est pas celui qui applique à la lettre une théorie, c'est-à-direun savoir qu'il a concernant l'action, afin de mieux agir.

Il n'est pas celui qui se sert de principes pour déterminer cequ'il va faire.

Mais, à l'inverse, il n'est pas non plus celui qui avance à tâtons, au fil des événements, sans savoir oùil va.

Il est en fait un « homme d'expérience », c'est-à-dire un homme instruit par les événements. L'expérience n'est plus alors ce qu'elle était chez Platon (complètement variable) ni complètement ce qu'elle sera chez Kant (une intuition mise en forme par des catégories).

Elle est un entre-deux et le terme d'expérience (ausens où quelqu'un « a de l'expérience ») rend bien ce double aspect : il ne s'agit ni d'un savoir théorique à base deprincipes tout faits, ni d'une ignorance totale des choses.

Elle est la manière sûre qu'un homme a d'agir, ens'adaptant aux conditions particulières de l'action.

Conclusion : Ainsi, il ne semble pas raisonnable d'opposer la théorie à l'expérience.

En effet, toute opposition évoque une forme de radicalité.

Mieux vaut nuancer les rapports entre théorie et expérience.

Dès lors, avec Platon onprivilégiera la théorie par rapport à une expérience variable, tout en se rappelant que celle-ci offre un point d'appuipour atteindre les Idées : si l'expérience est le degré le plus bas de la connaissance, elle permet tout de même d'enatteindre les degrés supérieurs. Ensuite, on peut penser avec Kant la complémentarité de l'expérience et de la théorie, au point que l'expérience, pour être expérience, suppose de manière interne la théorie.

Enfin, nous pouvons encore nuancer lesrapports expérience/théorie avec Aristote, en sorte que l'expérience, même si elle n'est pas l'application de principesou de théories toutes faites, est guidée par la prudence, qui est une intelligence concrète des situations.L'expérience possède alors sa propre théorie, faite de principes particuliers, en sorte que pour n'être pas aveugle ethasardeuse elle doit s'appuyer sur une certaine mise en ordre des événements.. »

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