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Est-il juste d'opposer la civilisation à la barbarie ?

Publié le 27/02/2008

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Dans Citadelle, Saint-Exupéry nous rappelle qu'une « civilisation repose sur ce qui est exigé des hommes, non sur ce qui leur est fourni », signalant par là l'impératif qui est au centre de toute instance civilisationelle. La notion de civilisation ne renvoie pas à une sorte de photo instantanée, certes, d'un moment donné d'une culture humaine. Mais il ne faut pas non plus penser qu'il s'agit uniquement d'une description dynamique de cette dernière. S'il y a une visée descriptive dans la notion de civilisation, cette dernière n'intervient que rétrospectivement, et devient en cela un outil de l'historien, non pleinement du philosophe. Il est possible d'être envoûté par la description subtile et mystique de civilisation à jamais éteinte, emportant dans les couches de terre sur lesquelles s'affaire l'archéologue, leur terrible secret. Cependant, il s'agit ici un instant de quitter cette conception pour saisir que la civilisation est pour ainsi dire une notion du présent, quelque chose qui se conquiert à chaque instant. Elle réunit les hommes dans un projet commun qui est comme un fil fragile tendu entre maintenant et l'à-venir, un projet qui somme l'homme d'être acteur de son devenir, mais aussi bon auteur. Pour reprendre encore une fois Saint-Exupéry, mais cette fois-ci dans Pilote de guerre: « L'homme de ma civilisation ne se définit pas à partir des hommes. Ce sont les hommes qui se définissent par lui. Il est en lui, comme en tout être, quelque chose que n'expliquent pas les matériaux qui le composent. Une cathédrale est bien autre chose qu'une somme de pierres. Elle est géométrie et architecture. Ce ne sont pas les pierres qui la définissent, c'est elle qui enrichit les pierres de sa propre signification ». L'idée ici traitée brillamment par l'écrivain nous renvoie à une irrémédiable incomplétude de l'homme, un homme qui n'est toujours qu'ébauche et vit dans une tension insoluble vers sa complétude. Un homme qui ne trouve pas sa définition dans son organisation biologique, ou dans un état des lieux de ses contemporain ou de ceux qui les précèdent. Comment ce projet qui presse l'homme pourrait-il un seul instant coïncider avec la barbarie qui figure de toute évidence à l'antipode d'une telle notion? La ligne de démarcation semble évidente, la barbarie nous renvoyant au sang, à la bestialité d'un homme ravalé par sa propre nature. Cependant, on rappelle que le mot barbare vient du grec « βαρβαρος »(barbaros) signifiant « étranger », substantif qui dérive de « βαρ βαρ » (bar-bar) voulant dire onomatopée. Pourquoi une telle étymologie? Les grecs désignaient par ce mot tout les peuples qui demeuraient extérieur précisément à la civilisation helléniste. Ces derniers ne parlant pas leur langue, ils avaient l'impression qu'ils s'exprimaient par onomatopées. Le coeur de cette étymologie nous renvoie donc à une idée marquée du sceau de la relativité. Barbare pour les uns, civilisé pour d'autre. Ceci nous mène à une question épineuse: y-a-t-il seulement un critère objectif de barbarie, ou est-ce une civilisation qui décide, sécrète pour ainsi dire, sa propre conception de la barbarie comme la ligne rouge qu'elle se charge de ne point franchir, aussi arbitraire soit-elle, ou relative? Le barbare, est-ce simplement notre étranger, celui qu'on ne comprend pas, celui qui agit en fonction d'un fond civilisationel distinct du nôtre? En d'autres termes, n'y-a-t-il de barbarie que pour soi, n'est-ce qu'un regard porté sur ce que l'on ne comprend pas? Et tout cela ne nous mène-t-il pas à un monde fragmenté où chacun étant juge et critique de l'altérité, la guerre résonne comme unique horizon?

« symbiotique et non antagoniste.

De plus, Montaigne nous met en garde face à un double problème méthodologiquepour ainsi dire.

Le premier, c'est celui du raisonnement par induction: « Mais pour avoir cet avantage sur nous d'avoir veu la Palestine, ils veulent jouir de ce privilège de nous conter nouvelles de tout le demeurant du monde ». La plupart de ceux qui parlent de leur voyage confondent la parcelle du monde visité avec le monde dans sonentièreté: de l'expérience particulière on généralise souvent bien trop hâtivement.

Notre expérience est toujoursexpérience du particulier, d'où le fait qu'on ne puisse prétendre décrire l'humaine condition à partir d'une simplegalerie de portrait issu de quelques voyages.

Deuxièmement, il faut accepter la barbarie comme un point de vue denotre civilisation sur celle qui lui sont précisément étrangères: « chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage; comme de vray il semble que nous n'avons autre mire de la vérité et de la raison que l'exemple et idée desopinions et usances du pays où nous sommes ».

La barbarie est une notion relative qui ne désigne que ce qui est étranger à sa propre civilisation. Nietzsche: une société de barbare II. Il s'agit ici de repartir de cette idée propre à Montaigne et d'en évaluer lateneur.

Il remarque qu'on utilise aussi le mot sauvage pour parler d'un fruit« que nature, de soy et de son progrez ordinaire, a produicts ».

Or, remarque l'auteur, ne devrions nous pas précisément dire l'inverse? N'est-cepoint le fruit que l'homme a traité qui est sauvage, soit étranger à sa propreet véritable nature? D'où cette conclusion de le Montaigne: « là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérez par nostre artifice et détournezde l'ordre commun, que nous devrions appeler plutost sauvages ».

Il faut voir ici en filigrane une critique des missionnaires qui imposèrent leur coutumeau peuple d'outre-atlantique.

Il s'agit toujours de stigmatiser selon l'auteurcette éloignement d'une « naïveté originelle », bien que le terme de naïveté soit ici à comprendre au sens de nature.

Il s'agit de respecter qui n'a pointavancé en faisant taire la nature, en la bridant comme a pu le faire notrepropre civilisation.

Dans la Généalogie de la morale , Nietzsche compare l'entrée de l'homme (ici dit « civilisé ») dans la société au passage desanimaux marins, un passage contraint et évolutionnel, à la conditiond'animaux terrestres: il leur fallait à présent « se porter eux-mêmes », eux qui étaient habitués à ce que l'eau les portent.

Ils devenaient gauches, « ils n'avaient plus leur anciens repères dans ce nouveau monde inconnu, à savoirles pulsions régulatrices qui les guidaient en toute sécurité et inconscience(...) réduits à leur 'conscience', leur organes le plus misérable, le plus trompeur! ».

Le but de cette métaphore est de présenter l'opposition entre la sûreté quasi-infaillible de l'instinct et le caractère superficiel, trompeur et éminemment faillible de la conscience, dela raison.

Mais, malgré cela, les instincts n'ont pas cessé d'un coup de poser leurs exigences: « il fallait chercher des satisfactions nouvelles et en quelque sorte sous-terraines.

Tous les instincts qui ne se déchargent pas versl'extérieur se tournent vers l'intérieur – c'est là ce que j'appelle l'intériorisation de l'homme: c'est alors seulementque pousse en l'homme ce qu'on appellera plus tard son âme ». En somme, le monde intérieur s'est élargi à mesure que la décharge pulsionnelle s'est effectuée vers l'intérieur, àmesure de cette inhibition.

L'État est l'exemple d'une protection contre ces instincts, et a fait que l'ensemble detous ces instincts de l'homme sauvage, libre, nomade, se sont retournés contre lui: c'est « l'homme contre lui- même ». Il devient en somme le lieu d'un supplice, soit « l'homme qui souffre de l'homme » après cette séparation violente avec son passé animal.

Ainsi débute la décadence d'une civilisation qui n'accepte pas l'homme dans son entièreté,l'homme sous toutes ses facettes, à commencer par cet instinct de liberté, cette volonté de puissance qu'elle contraint.

On pourrait ainsi dire que la barbarie fut le procès même de notre civilisation, le chemin qu'elle emprunta.Les « sauvages » ne sont certes pas des barbares, mais ils nous révèlent de plus combien, par opposition à leur culture qui s'est construite en dialogue avec le fond naturel de l'homme, combien la notre est barbare.

Lacivilisation, entendons donc la pointe de notre culture, le point vers lequel elle tente de culminer, est un longprocessus malade qui détache l'homme de ce fond si précieux qu'est proprement la vie.

Universalisme III. Offrir un reflet peu reluisant à notre propre société, démontrer que l'idée de civilisation comme de barbarie est bienrelative, n'est-il pas au fond risqué? Il faut ici peut-être penser deux voix qui ne s'exclue pas systématiquement: leproblème de l'universalisme et le problème métonymique.

Tout d'abord, l'apport des sciences humaines a permis depenser une sorte de dénominateur commun de l'homme réinventé par chacune des cultures.

Ainsi, malgré la pluralitédes langues selon les pays ou les époques, la linguistique a émergé précisément comme une pratique visant àmontrer qu'elles se structurent toutes d'une façon assez similaire.

D'où le fait qu'il soit possible de parler de langageau singulier.

De même, dans la multiplicité des mythes, l'anthropologue Lévi-Strauss à démontrer l'apparition deconstantes, de noyaux solides et communs: ce sont des figures et des thèmes similaires qui réapparaissent d'unendroit à l'autre de la terre, d'un temps passé à un temps présent.

Il ne s'agit plus simplement de comprendre l'autre. »

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