En écrivant une tragedie, le seul but du dramaturge est- il de nous offrir un spectacle cruel ?
Publié le 29/03/2009
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En écrivant une tragedie, le seul but du dramaturge est- il de nous offrir un spectacle cruel ?
Par le terme tragédie, on entend un genre théâtral qui se caractérise par une intrigue mettant en scène des passions souvent violentes, ou se heurtent des individus pousses par des intérêts divers dont le conflit culmine souvent dans la mort. La tragédie a été largement codifiée au XVIIe siècle, de sorte que ce que l’on entend aujourd’hui encore par tragédie désigne le genre tel qu’il a été bâti par les contemporains de Corneille et Racine, soit une pièce de theatre en cinq actes et en alexandrin dont le dénouement malheureux ou violent est souvent provoque par des forces qui dépassent le pouvoir et l’entendement humain, telles que la fatalité et le destin.
Lorsque nous nous interrogeons sur le but de quelque chose ou de quelqu’un, nous nous interrogeons sur l’objet qu’il vise, sur ce qu’il cherche à atteindre au travers de son activité. Le but est donc la chose vers laquelle tend l’action, l’industrie ou la pensée d’un être, ce dont il est actuellement sépare mais qu’il cherche à atteindre au moyen de ses efforts.
Par dramaturge, nous entendrons l’auteur de l’œuvre théâtrale, individu souvent distinct de celui qui la met en scène.
Un spectacle cruel est un spectacle ou la violence est omniprésente, un spectacle dont les spectateurs retirent un sentiment d’effroi en raison de son extrême agressivité et de la force des passions ou des actions mises en scène. Un spectacle cruel est donc un spectacle qui représente des actions violentes qui a pour effet d’effrayer ou de choquer ceux qui y assistent.
A première vue, lorsque nous nous demandons si en écrivant une tragédie, le seul but du dramaturge est de nous offrir un spectacle cruel, nous pouvons penser que la réponse est évidemment affirmative. En effet, la tragédie est un spectacle qui par définition représente la violence : celle des passions ou celle des actions humaines. Pour preuve de cela, nous pouvons rappeler qu’au quotidien nous qualifions de « tragédie « tout événement qui se signale par sa cruauté ou la tristesse qui l’accompagne. Cependant, ne se peut il pas que le dramaturge se propose d’autres buts que de nous offrir un spectacle cruel, notamment des buts politiques ou moraux ?
La question au centre de notre travail sera donc de déterminer dans quelle mesure le dramaturge se propose a travers une tragédie d’atteindre d’autres buts que celui de nous offrir un spectacle cruel, notamment un spectacle moral ou a portée politique.
I. Une tragédie a nécessairement pour but de nous offrir un spectacle cruel
II. Une expression assourdie des passions humaines dans la tragédie
III. La tragédie poursuit également des buts moraux et politiques
«
La règle de bienséance et l'expression visuelle des passions a.
Cependant, nous ne pouvons en rester à une telle thèse sans méconnaitre certaines manifestations particulières dugenre de la tragédie.
Il faut bien voir que pour ce genre en particulier s'applique une règle fondamentale qui est larègle de bienséance.
Boileau l'exprime en ces termes :
« Ce qu'on ne doit point voir, qu'un récit nous l'expose,Les yeux en la voyant saisiront mieux la chose;Mais il est des objets que l'art judicieuxDoit offrir à l'oreille et reculer des yeux ».
(Boileau, l'Art poétique , 1674, chant III, vv.51-54)
Cette règle est extrêmement importante pour entendre le type de représentations visuelles des passions sur lascène.
En effet, elle interdit que le sang soit verse, que des actions violentes ou obscènes soient représentes sur lethéâtre.
Par exemple, le meurtre de Britannicus n'est pas perpétré sur scène par Néron, mais raconte après qu'il aiteu lieu.
Nous dirons donc que la règle de bienséance impose une représentation distante, dans le langage et non surscène, des passions humaines dans la tragédie.
Le spectacle que vise à nous offrir l'auteur de tragédie n'est doncpas uniquement un spectacle cruel, mais un spectacle de passions violentes tempérées par la règle de labienséance.
La règle de bienséance et l'expression verbale des passions b.
La règle de bienséance a également des conséquences sur l'expression verbale des passions.
Elle impose unecertaine retenue, un langage au niveau de langue élevé, un ton noble et majestueux qui correspond par ailleurs al'identité sociale des protagonistes dans la tragédie (des rois et des reines, dans une immense majorité de cas).Nous dirons donc que la représentation des passions dans la tragédie est une représentation assourdie, commeplacée derrière un voile de retenu et de noblesse.
Mais il ne faut pas s'y tromper : derrière la pureté de la langue etla rigueur parfaite de l'alexandrin, (notamment chez Racine) c'est une extrême violence qui se donne libre cours.
Lespassions dans la tragédie classique sont exprimées comme du feu maintenu sous la glace.Nous pouvons notamment constater cette extrême violence des passions évoqués par les personnages dans l'extraitsuivant de Phèdre de Racine qui dépeint la passion amoureuse : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue ;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ;Je sentis tout mon corps, et transir 3 et brûler. Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,D'un sang qu'elle poursuit tourments inévitables.Par des vœux assidus je crus les détourner :Je lui bâtis un temple, et pris soin de l'orner ;De victimes moi-même à toute heure entourée,Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.D'un incurable amour remèdes impuissants !En vain sur les autels ma main brûlait l'encens :Quand ma bouche implorait le nom de la déesse,J'adorais Hippolyte, et le voyant sans cesse,Même au pied des autels que je faisais fumer.J'offrais tout à ce dieu, que je n'osais nommer.Je l'évitais partout.
Ô comble de misère !Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père ». Phèdre , Acte I, scène 3..
»
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