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Douter, est-ce nécessairement négatif ?

Publié le 24/05/2009

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La question (Douter, est-ce nécessairement négatif ?) semble précisément appeler une réponse négative. Mais il est bien clair que pour répondre, il faut savoir ce que veut dire douter. Seulement il ne suffit pas d'analyser la notion de « doute » pour être pleinement en mesure de répondre. II convient en effet, au cours même de cette analyse, de s'interroger sur le mot « négatif ». Peut-être ne faut-il pas entendre le négatif comme quelque chose qui serait opposé extérieurement au positif, mais comme quelque chose qui appartiendrait au mouvement même de la positivité. On le voit — et c'est un point sur lequel nous n'insisterons jamais assez — il importe de lire très attentivement le libellé du sujet avant d'entreprendre le travail de rédaction. On doit tirer parti des termes du sujet afin de construire sa dissertation. En ce qui concerne ce sujet, nous conseillons de commencer par réfléchir sur l'ambiguïté du doute, sans faire appel au début à des connaissances philosophiques. Puis on cherchera à préciser la différence entre le doute, pris comme moyen et le doute pris comme fin. C'est là qu'apparaît nettement le rapport entre le doute et la vérité. Cette différence recouvre en partie la différence entre le doute sceptique, du moins tel que Descartes le conçoit, et le doute cartésien. En développant l'analyse du doute, on s'interrogera sur la place qu'occupe cette notion au sein de la philosophie. On étudiera la relation entre le positif et le négatif. Nous proposons de conclure en cherchant à savoir s'il n'existerait pas une méthode encore plus radicale que le doute. Nous la trouverons dans la réduction phénoménologique.     DÉVELOPPEMENT   Au premier abord le doute n'évoque pour chacun d'entre nous qu'un état d'hésitation, voire de confusion. Il semble alors traîner dans son sillage le cortège de nos incertitudes, de nos malaises et de nos craintes. Ainsi le doute serait-il négatif dans la mesure où il ne poserait rien, ne construirait rien. Il révélerait l'impuissance de notre esprit à gagner un sol ferme; il témoignerait du désarroi de notre pensée, du délabrement et de l'effondrement de nos certitudes. S'insinuant jusqu'au plus profond de nous, se lovant au creux de notre existence, il ne cesse de nous tarauder et nous fait douter de nous-mêmes. Mais ne serait-ce pas là qu'un des aspects du doute? Le doute se caractérise-t-il toujours par l'absence de positif? Et quels sont les rapports entre le négatif et le positif? Ce qui est négatif est-il inévitablement vain et nocif? En nous posant ces questions, nous nous apercevons que nous sommes en train de douter de nos premières assertions sur le doute. Dans ce cas, le doute manifeste la force et la liberté d'une pensée qui refuse de se laisser enfermer dans l'univers sans questions du « cela va de soi ». Il y a bel et bien ici un rapport au négatif puisqu'il y a refus. Mais ce que le doute refuse en l'occurrence, c'est d'en rester à des réponses toutes prêtes. Le doute serait dans ces conditions l'élément propre à faire sortir notre esprit de sa quiétude journalière et béate pour le plonger dans l'inquiétude de la recherche d'une vérité dont il n'y aurait plus à douter. On voit que sous ce second aspect le doute ne se complaît point dans l'incertitude, puisqu'il vise au contraire à atteindre une certitude en laquelle il se puisse totalement résorber. On constate donc qu'il y aurait doute et doute, ou plutôt que le doute ne serait pas une notion aussi simple qu'il pouvait y paraître. C'est peut-être bien dans l'ambiguïté même de la notion de « doute » que réside la réponse, ou plus exactement la possibilité de réponse, à la question qui nous est posée : « Douter, est-ce nécessairement négatif? » Impasse ou aiguillon de la pensée, destructeur ou révélateur de l'existence, le doute tourne-t-il en rond dans la mouvance vide d'une incessante insatisfaction, ou bien est-il au contraire la plus sûre promesse d'un sol inébranlable?

« XXXVI), nomme les sceptiques les « épéchistes » et dit fort bien que le propre deLA VÉRITÉ 79l'époché est d'aboutir à « une pure, entière et très-parfaite surceance [surséance] et suspension du jugement »(Essais, tome I, p.

560.

Nous respectons l'orthographe de l'époque).

11 s'agit pour le philosophe sceptique demaintenir le jugement hors de toute prise de position pour ou contre.

Parlant de cette attitude sceptique, Montaignela décrit ainsi : « Vaut-il pas mieux demeurer en suspens que de s'infrasquer en tant d'erreurs que l'humainefantaisie a produictes? » (P.

559.)Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que si Montaigne, dans l'Apologie de Raimond Sebond, commente en leséclairant parfois les thèses sceptiques, sa visée profonde est toutefois bien différente de celle de Pyrrhon et de sesdisciples.

Ce qu'a en vue Montaigne est nécessairement très différent, et ce pour une double raison qu'il nous faut àprésent brièvement exposer.

D'abord le scepticisme grec demeure une manière particulière de se situer et de secomporter par rapport à ce que les Grecs appelaient alêthéia.

On traduit habituellement ce mot par « vérité ».

Maisprendre telle quelle cette traduction, c'est, pour employer l'expression de Leibniz, prendre « la paille des termes pourle grain des choses » (Essais de Théodicée, p.

320).

En nous servant de la traduction découverte par Jean Beaufretnous dirons que le sens profond du mot alêthéia est « ouvert sans retrait ».

Or ce sens a été pour ainsi dire oblitérépar le latin veritas, qui a donné en français « vérité ».

Il ne faut pas oublier en effet qu'en passant du grec au latin,nous passons d'un monde à un autre.

Mais à ce premier écran entre les paroles de Montaigne et celles de Pyrrhon etde ses disciples, s'en ajoute un second : le christianisme.

Montaigne n'est certes pas, comme le sera au contraireun siècle plus tard Pascal, un écrivain religieux.

Mais c'est, si l'on veut, l 'environnement qui est chrétien.

En d'autres termes, la vérité suprême est du domaine de la foi.

« La participation que nous avons à la connaissance de la vérité, quelle qu'elle soit, ce n'est pas, dit-il, par nos propres forces que nous l'avons acquise...

nostre foy, ajoute-t-il, ce n'est pas nostre acquest...

» (P.

554.) Ainsi laromanisation du grec et l'avènement de la foi tissent un double écran entre le scepticisme de Pyrrhon et celui deMontaigne.

Afin d'expliciter cela, demandons-nous pourquoi dans les Essais, et plus précisément dans l'Apologie de Raimond Sebond, Montaigne se réfère ainsi, en les saluant au passage, aux philosophes sceptiques.

La raisonprofonde de cette référence à l'école sceptique doit être recherchée dans le désir qu'a Montaigne de rabaisser laprésomption et l'orgueil des hommes.

Ceux-ci font en effet, selon l'auteur des Essais, trop grand cas de leur raison et oublient aisément qu'ils ne sont que des créatures essentiellement faillibles.

Le dessein de Montaigne est ici belet bien d'inspiration chrétienne, ou plutôt il ne se comprend que dans un horizon chrétien.

« Nostre coeur et nostreame estant regie et commandée par la foy,...

la peste de l'homme c'est l'opinion de sçavoir.

» (p.

489 et p.

540.)Les thèses des philosophes sceptiques sont pour Montaigne, dans une perspective où le mot « vérité » a,rappelons-le, profondément changé de sens, autant d'armes qu'il va pouvoir utiliser contre la présomption humaine.Ainsi, lorsqu'il est question de ceux qui entendent, par leur seule raison, combattre la religion, le ton se fait dur ettranchant : « Le moyen que je prens pour rabatre cette frenaisie et qui me semble le plus propre, c 'est de froisser et fouler aux pieds l'orgueil et l'humaine fierté; leur faire sentir l'inanité, la vanité et deneantise [le néant] del'homme; leur arracher des points les chetives armes de la raison; leur faire baisser la teste et mordre la terre soubsl'authorité et reverance de la majesté divine.

C'est à elle seule qu'appartient la science et la sapience [la sagesse].» (P.

491.) Dans ces paroles qui réjouiront Pascal (1) vibre l'écho des Épîtres aux Corinthiens de saint Paul auxquelles Montaigne se réfère d'ailleurs explicitement dans son Apologie de Raimond Sebond.

L'on peut même dire que c'est vraisemblablement l'esprit des Épîtres aux Corinthiens qui constitue la toile de fond de ce texte des Essais.Quoi qu'il en soit, nous constatons que ni l'examen fort succinct que nous venons de faire du scepticisme grec, nil'analyse de l'Apologie de Raimond Sebond que nous venons d'esquisser, ne nous permettent de répondre de façon satisfaisante à la question posée : « Douter, est-ce nécessairement négatif? » Nous avons certes quelque peuprogressé, mais sans pénétrer peut-être au coeur du sujet.

Il y a bien, tant chez les philosophes de l'écolesceptique que chez Montaigne et compte tenu bien sûr des très importantes différences que nous avons signalées,des éléments positifs.

Par exemple on note un souci analogue — ne disons pas identique — de s'opposer à toutdogmatisme.

Mais nous n'avons peut-être pas encore saisi la nature profonde du doute, c'est-à-dire son ambiguïté.La distinction entre les deux aspects du doute que nous évoquions dans notre introduction devient nette lorsques'opère, en dehors du domaine de la foi, une mutation de la vérité en certitude.C'est avec Descartes que s'opère une telle mutation de la vérité en certitude.

Le propre de la certitude, Descartesle découvre dans le cogito ergo sum (je pense donc je suis).

« Par Descartes et depuis Descartes, écrit Heidegger, l'homme, le « moi » humain, devient d'une manière prééminente le « su-jet » dans la métaphysique...

L'hommedevient le fondement et la mesure posés par lui-même pour fonder et mesurer toute certitude et [entendre : c'est-à-dire] toute vérité.

» (Heidegger, Nietzsche, Gallimard, tome I, p.

115 et p.

109.) Cette interprétationphilosophique répond à la certitude religieuse de la foi dans le christianisme.

La foi était l'adhésion confiante à laparole divine.

Mais saint Paul avait bien précisé que c'est Dieu qui donne à l'homme cette suprême certitude qu'estla foi.

Or pour Descartes c'est en lui-même que l'homme trouve le chemin, ou la méthode, vers un savoirindépendant de la foi mais tout aussi sûr qu'elle.

La philosophie a donc bien ici pour rôle de donner à l'homme laméthode pour atteindre la certitude, c'est-à-dire la vérité.

Dans les Règles pour la Direction de l'Esprit, Descartesnous dit ce qu'il entend par méthode : « Quant à la méthode, j'entends par là des règles certaines et faciles dontl'exacte observation fera que n'importe qui ne prendra jamais rien de faux pour vrai, et que, sans dépenserinutilement aucun effort d'intelligence, il parviendra, par un accroissement graduel et continu de science, à lavéritable connaissance de tout ce qu'il sera capable de connaître.

» (Règle IV.) C'est ainsi que l'ego cogito, le « jepense », est « la première et la plus certaine » des connaissances « qui se présente à celui qui conduit ses penséespar ordre » (Descartes, les Principes de la Philosophie, Ire partie, article 7).. »

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