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DESCARTES: Passions, langage et raison

Publié le 27/02/2008

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« Il n'y a aucune de nos actions extérieures qui puisse assurer ceux qui les examinent que notre corps n'est pas seulement une machine qui se remue de soi-même, mais qu'il y a aussi en lui une âme qui a des pensées, excepté les paroles ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent, sans se rapporter à aucune passion. Je dis les paroles ou autres signes, parce que les muets se servent de signes en même façon que nous de la voix; et que ces signes soient à propos, pour exclure le parler des perroquets, sans exclure celui des fous, qui ne laisse pas d'être à propos des sujets qui se présentent, bien qu'il ne suive pas la raison; et j'ajoute que ces paroles ou signes ne se doivent rapporter à aucune passion, pour exclure non seulement les cris de joie et de tristesse, et semblables, mais aussi tout ce qui peut être enseigné par artifice aux animaux; car si on apprend à une pie à dire bonjour à sa maîtresse, lorsqu'elle la voit arriver, ce ne peut être qu'en faisant que la prolation de cette parole devienne le mouvement de quelqu'une de ses passions; à savoir, ce sera un mouvement de l'espérance qu'elle a de manger, si l'on a toujours accoutumé de lui donner quelque friandise, lorsqu'elle l'a dit, et ainsi toutes les choses qu'on fait faire aux chiens, aux chevaux et aux singes, ne sont que des mouvements de leur crainte, de leur espérance, ou de leur joie, en sorte qu'ils les peuvent faire sans aucune pensée. » Descartes.L'idée essentielle de ce texte est la thèse suivante : « Ce qui, parmi nos actions extérieures, permet d'assurer que notre corps n'est pas seulement une machine, mais qu'il a aussi en lui une âme, ce sont les paroles ou autres signes faits à propos des sujets qui se présentent sans se rapporter à aucune passion. » Cette thèse peut être considérée comme la solution d'un problème que l'on pourrait formuler ainsi : « Comment peut-on être certain que notre corps possède une âme? » ou : « Quelles sont, parmi les actions extérieures, mouvements et cris, celles qui nous assurent que notre corps a une âme? »
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« — Ce qui, parmi les actions extérieures, assure qu'un corps a en lui une âme, c'est la parole, thèse qui fait l'objet denotre texte.— Les êtres qui sont doués de la parole, et par conséquent ont une âme, sont les êtres humains.

Considéré d'unbout à l'autre de ce texte, comme allant de soi.— Les animaux, malgré certaines apparences, n'ont pas la parole.

Mais il n'est pas dit dans ce texte qu'ils n'ont pasd'âme, il est simplement dit qu'on ne peut prouver qu'ils en ont une au moyen du critère de la parole.

Après tout, ilspourraient en avoir une sans que nous le sachions; bien plus, nous pourrions avoir un autre moyen que la parolepour prouver qu'ils ont une âme.

Ce sont là, bien sûr, des suppositions arbitraires, mais il importe de délimiterrigoureusement la portée du texte et de la démonstration qu'il contient.

A parler strictement, la thèse célèbre des «animaux-machines » signifie seulement : il est possible d'expliquer scientifiquement tous les phénomènes dont lecorps d'un animal est le siège comme s'il s'agissait d'une machine.Cette dernière considération peut suggérer une remarque importante pour notre sujet.

On aurait pu se demanderpourquoi un philosophe éprouve le besoin de prouver que l'homme a une âme.

Car après tout je le sais, à l'évidence,pour moi-même, ne serait-ce que par l'expérience du cogito, et je ne puis m'empêcher de l'admettre pour les êtresqui sont mes semblables.

En réalité, les exigences de la science, qui nous conduisent à considérer l'animal commeune machine, nous amèneraient tout aussi bien à considérer l'homme comme une machine, ce que fait d'ailleurs lesavant jusqu'au moment où il doit tenir compte de ce fait que l'homme possède en plus une « âme raisonnable » quiest non seulement « logée dans son corps » mais qui est « jointe et unie étroitement avec lui.

»Il est donc du plus haut intérêt de pouvoir « assurer », c'est-à-dire prouver, que l'homme a une âme raisonnable,mais cet intérêt n'est peut-être pas rigoureusement « philosophique ».

C'est plutôt, dirions-nous, un intérêt «pratique », car mon attitude en présence d'un être qui a une âme est différente de celle que je puis avoir en faced'une simple machine : un être « animé » est un être qui a des droits, que je dois — pour employer un vocabulairenon plus cartésien mais kantien — traiter non seulement comme un moyen mais toujours aussi en même tempscomme une fin.

Ce peut être aussi — si nous nous transportons à l'époque où vivait Descartes — un intérêt religieux: un être qui a une âme immortelle doit être sauvé.Si tel est l'intérêt du problème, quelle est la valeur de la solution qu'en donne Descartes?Elle résulte tout entière de cette thèse que nous avons dégagée tout à l'heure : « ce qui, parmi les actionsextérieures, assure qu'un corps a en lui une âme, c'est la parole.

»Ce terme de parole ici ne désigne pas nécessairement une émission de voix ; les muets « parlent », bien qu'ilss'expriment par gestes ; inversement, les animaux poussent des cris, les pies et les perroquets produisent même dessons qui imitent à s'y méprendre la voix humaine; ils ne parlent pas vraiment.Parler c'est s'exprimer « à propos des sujets qui se présentent ».

C'est peut-être là le plus important.

Les actionsextérieures, mouvements, cris, sons articulés, tant qu'ils s'expliquent exclusivement par un enchaînement mécaniquede causes et d'effets, ne sont pas des paroles.

Inversement, les sons de la voix et les gestes, et même en généraln'importe quelle action extérieure, seront tenus pour des paroles lorsqu'ils seront produits à propos des sujets qui seprésentent, autrement dit lorsqu'ils s'ajustent à l'objet, lorsqu'ils s'expliquent non plus par leur cause mais par leurfin, manifestant ainsi une intention, une pensée.

C'est Kant qui a dit : « Toute chose dans la nature agit selon deslois, seul un être raisonnable agit selon la représentation des lois ».

Il y a donc une différence radicale entre lesêtres qui ont une âme et des pensées et ceux qui n'en ont pas.

Mais ce qui rend particulièrement intéressante cettepage de Descartes, c'est qu'on y donne un moyen de distinguer de l'extérieur en quelque sorte la présence oul'absence de cette âme « qui a des pensées ».. »

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