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DESCARTES: L'invention d'une infinité d'artifices...

Publié le 18/04/2009

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descartes
Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que commençant à les éprouver en diverses difficultés particulières, j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire, et combien elles diffèrent des principes dont on s'est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer, autant qu'il est en nous, le bien général de tous les hommes. Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui soient fort utiles à la vie, et qu'au lieu de cette philosophie spéculative, qu'on enseigne dans les écoles, on peut en trouver une pratique, par laquelle connaissant la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature. Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d'artifices, qui feraient qu'on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les autres biens de cette vie. DESCARTES

Le début du texte nous montre Descartes dans une position d'obligation face à ses propres découvertes : « sans pécher grandement... « on a ici le sentiment que le ressort de son action est moral : conscient de ses découvertes, il ne doit pas les cacher car elles peuvent contribuer à faire progresser l'humanité . Il serait d'ailleurs intéressant de se demander dans quelle mesure l'auteur, dont la vertu cardinale est la prudence, n'a pas eu à craindre les sentences des Maitres à penser dogmatiques de l'époque. On sait qu'il a du s'exiler aux Pays Bas, pour jouir de la libre pensée. Entre la Renaissance et les Lumières, de nombreuses découvertes fondent la science moderne : circulation du sang (Harvey), rotondité de la terre (Galilée), Descartes participe largement à ce mouvement par sa dioptrique et surtout sa conception géométrique de l'étendue (coordonnées cartésiennes).  

descartes

« l'homme était effectivement maître et possesseur (ou comme le dit Montaigne, à propos de la créature, «maîtresse et empérière ») de l'univers.

Il n'est pas question pour Descartes de tomber à son tour dansl'anthropocentrisme naïf qui sous-tend une telle illusion.

L'homme n'a pas créé la nature ; il n'est pas nonplus dans le « secret des dieux » - ou de Dieu ; il ne gouverne pas la nature comme un roi son royaume - etil n'est pas davantage investi d'un pouvoir a priori sur ses lois.

Comment pourrait-il d'emblée en être maîtreet possesseur? Que recouvre donc la formule de Descartes ? Elle nous suggère que l'homme peut acquérirune position analogue, similaire, à celle de quelqu'un qui serait maître et possesseur.

Mais une telle position,d'une part, n'a rien d'un privilège pouvant s'apparenter à une complicité a priori entre l'homme et Dieu.D'autre part, elle ne peut être produite qu'à partir d'une observation rigoureuse des lois de la nature.

Il s'agitde connaître « la force et les actions du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les autrescorps qui nous environnent.

» Le processus de la connaissance relève d'une activité méthodique, articulantobservation et réflexion, mise en relation des faits et déduction.

Le but : obtenir comme la maîtrise de ceslois, en étant capable, notamment, de les « faire fonctionner » conformément aux fins propres à l'homme.L'homme n'est pas plus possesseur de la nature qu'il n'en était a priori le maître.

Il est comme possesseur,c'est-à-dire qu'il peut se l'approprier en vue d'en faire un usage bénéfique (notamment pour améliorer sasituation matérielle).

Installé dans la nature, il tend ainsi à se l'approprier effectivement, mais sans jamais laposséder.

Nuance d'importance.

La nature n'appartient pas plus à l'homme qu'à toute autre créature.

Il nedépend que de l'homme de faire comme si elle lui appartenait, grâce à l'élaboration de la connaissancescientifique qui lui en livre les secrets, et à la mise en oeuvre de cette connaissance dans le progrèstechnique.Un tel projet justifie amplement la décision de diffuser les acquis du savoir sous une forme telle qu'elle puisserendre possible de nouvelles connaissances, et partant, de nouveaux progrès.

L'enjeu est nettement formulépar Descartes.

Il s'agit du « bien général de tous les hommes.

» Traditionnellement considérée commeaffranchie des exigences de la vie pratique, et définie comme ayant sa fin en soi, la connaissance des lois dela nature ne semblait répondre qu'à un intérêt théorique - satisfaction intellectuelle d'une connaissance pureet désintéressée.

Aristote, définissant la « connaissance des causes » comme discipline « libérale »,l'opposait aux arts et aux métiers, dont la raison d'être est la production des biens nécessaires à l'existence.Avec Descartes, la connaissance garde son autonomie, mais un nouveau rapport s'établit entre elle et lesobjets techniques.

L'analogie du texte le confirme.

Il s'agit, certes, de continuer à connaître parce que larecherche de la vérité est un bien en soi, qui élève l'esprit et permet à l'homme de comprendre le monde quil'entoure ; mais désormais, la finalité pratique et technique de la connaissance est explicitement posée.

Laphilosophie est concernée par une telle mutation en tant que réflexion sur les fondements et les finalités desreprésentations et des pratiques humaines.

Descartes philosophe explicite la démarche de Descartesphysicien - et ce dédoublement réflexif a pour effet de préciser le sens de la démarche scientifique, safinalité dans l'ensemble des facteurs au sein desquels se situe la condition humaine.Que s'agit-il de diffuser ? Non pas tant les connaissances elles-mêmes que les principes ou notions généralesqui ont présidé, dans la démarche scientifique, à leur élaboration.

L'avènement d'une physique scientifique(Copernic, Galilée, Descartes) a été rendu possible par une conception philosophiquement maîtrisée del'étude rigoureuse du réel.

À ce titre, Descartes indique ce que peuvent être, plus généralement, lesfondements d'une connaissance scientifique de la nature.

L'exemplarité de principes d'analyse et d'étude quiont fait leurs preuves dans un domaine d'étude ne peut être confondue avec la valeur universelle d'un typed'explication appliqué à tous les secteurs de la réalité.

Ce qui est en cause ici, c'est ce qui permet deconstituer et de structurer une démarche de type scientifique, et non pas la validité universelleproblématique d'un modèle d'intelligibilité.

On sait que Descartes, pour constituer et fonder une démarche detype scientifique, a d'abord lutté contre le principe d'autorité et tous les types de préjugés qui entravent lelibre exercice de la raison, et du jugement.

Ayant mis l'accent sur l'exigence d'une méthode rigoureuse(façon d'utiliser une faculté de connaître présente chez tous), il a formulé les fameuses règles de la méthodequi doivent assurer à la fois la rigueur de la démarche scientifique et sa fécondité.

Bref, l'acquisition deprincipes et de notions générales assurant la scientificité de la physique relève d'un effort de réflexion quifonde la connaissance ; leur mise à l'épreuve en « diverses difficultés particulières » dégage leur valeur etmet en évidence leur portée, leur fécondité.

Dès lors, les « tenir cachées » est inacceptable d'un point devue éthique (cf.

la « loi morale » qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tousles hommes). Réflexion sur l'intérêt philosophique de texte Une des confusions les plus fréquentes, qui consiste à attribuer à la science et à la philosophie le même rôleet le même objet, peut être évitée dès lors qu'on réfléchit sur le point de vue qui s'exprime dans le texte.

Eneffet, on y observe très nettement la distinction entre le physique, connaissance de la nature, et ladémarche philosophique, qui a pour objet à la fois les conditions de possibilité de la science et sa raisond'être par rapport aux fins de l'homme.

Bien sûr, Descartes lui-même a théorisé le rapport entre science etphilosophie d'une façon telle que celle-ci englobe la première, comme une de ses parties constitutives (cf.

lafameuse métaphore de l'arbre de la philosophie dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique,et les branches les trois principales sciences (médecine, mécanique et morale), Principes de la philosophie,Préface).

Mais il faut se garder d'une interprétation trop littérale d'une telle métaphore.

Ce qui distingue ladémarche philosophique, c'est le mouvement par lequel sont dégagées à la fois les conditions et la portée dela connaissance scientifique, référée à la raison et au libre exercice du jugement.

La recherche des «premiers principes », des causes fondamentales, est déjà la première phase de la production de l'intelligibilité. »

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