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DESCARTES: De l'origine des passions amoureuses.

Publié le 16/04/2005

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descartes
Lorsque j'étais jeune, j'aimais une fille de mon âge, qui était un peu louche ; au moyen de quoi, l'impression qui se faisait par la vue en mon cerveau, quand je regardais ses yeux égarés, se joignait tellement à celle qui s'y faisait aussi pour émouvoir la passion de l'amour, que longtemps après, en voyant des personnes louches, je me sentais plus enclin à les aimer qu'à en aimer d'autres, pour cela seul qu'elles avaient ce défaut ; et je ne savais pas néanmoins que ce fût pour cela. Au contraire, depuis que j'y ai fait réflexion, et que j'ai reconnu que c'était un défaut, je n'en ai plus été ému. Ainsi, lorsque nous sommes portés à aimer quelqu'un, sans que nous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient de ce qu'il y a quelque chose en lui de semblable à ce qui a été dans un autre objet que nous avons aimé auparavant, encore que nous ne sachions pas ce que c'est. Et bien que ce soit plus ordinairement une perfection qu'un défaut, qui nous attire ainsi à l'amour, toutefois, à cause que ce peut être quelquefois un défaut, comme en l'exemple que j'en ai apporté, un homme sage ne se doit pas laisser entièrement aller à cette passion, avant que d'avoir considéré le mérite de la personne pour laquelle nous nous sentons émus. DESCARTES

 

Le fait initial: l'amour éprouvé par Descartes lui-même étant enfant pour une fille de son âge, qui louchait un peu.

Sa conséquence : à son insu, l'auteur a longtemps eu de l'inclination pour les personnes qui avaient ce défaut ; mais ce penchant a disparu dès qu'il en a pris conscience.

 

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« même, mais seulement lorsqu'elle produit des effets d'aveuglement qui compromettent la lucidité.

D'où lanécessité d'une maîtrise des passions, qui signifie leur assouvissement mais aussi leur contrôle.

La sagesse,en l'occurrence consiste à savoir ce qui dépend de soi, et à régler ce qui peut l'être compte tenu d'une telleprise de conscience.

Précisant une telle exigence au regard de l'union du principe de la pensée (l'âme) avecle siège des impressions sensibles (le corps), Descartes montre comment tirer parti de la situation humaine.Il y a les plaisirs que l'âme peut et sait se procurer à elle-même, et ceux qui lui sont communs avec le corpspourvu que l'homme reste maître de lui-même, et sache prévenir dérives et excès.

Parlant des passions,Descartes écrit : « Nous voyons qu'elles sont toutes bonnes de leur nature, et que nous n'avons rien àéviter que leurs mauvais usages ou leurs excès.

» (Les Passions de l'âme, article 211).

Et il ajoute : « Quec'est d'elles seules que dépend tout le bien et le mal de cette vie » (article 212).L'opposition de la sagesse et de la passion est donc contestable.

Elle n'a de sens que dans le cas d'uneexacerbation de la passion, qui tend à dessaisir la raison de son pouvoir.

Certaines situations existentiellesdramatiques provoquent les « passions tristes » dont parlait Spinoza : haine et tristesse, qui attestent toutà la fois la désespérance affective et l'incompréhension des causes qui produisent la situation subie.

Lahaine raciste ou xénophobe fait partie de ces passions tristes qui aveuglent le jugement, voire le rendenttotalement impossible.

L'injonction volontariste (« il faut faire taire ses passions ») reste inutile et vaine tantqu'une transformation de la situation pathogène n'esquisse pas la libération minimale qui redonne seschances à la raison.

Mais, inversement, il doit aussi y avoir une « volonté de raison » - sorte de sagesseliminaire - pour élucider la situation subie, la comprendre, et chercher à s'en délivrer.

Difficile avènementd'une sagesse libératrice qui tout à la fois présuppose la possibilité de la raison et s'efforce de l'épanouir encompréhension rationnelle du monde - transcendant alors les passions tristes.

Descartes et Spinoza, chacunà sa manière, exposent la difficulté de la maîtrise des passions, en écartant la naïveté qui consisterait àcroire que le seul énoncé rationnel du vrai peut dissiper la passion vive du moment.

La sagesse cartésiennemise à la fois sur la générosité, conscience de la valeur du libre arbitre, et sur l'exercice patient par lequels'acquiert, indirectement, la maîtrise des passions (consistant par exemple à désaccoupler desreprésentations associées afin de défaire l'ascendant de l'une d'entre elles).

Quant à la sagesse spinoziste,elle en appelle à ce changement de la situation existentielle que représente l'élucidation du rapport dechaque homme à la totalité naturelle et sociale.

Compris et non plus subi, ce rapport n'entrave plus lapuissance d'agir : celle-ci est bien plutôt augmentée par l'élucidation de tout ce qui la situe, et par là mêmeles passions mauvaises cèdent le pas aux passions joyeuses.Pour approfondir la réflexion sur le texte de Descartes, on pourra se reporter au texte intégral de la lettredont il est tiré, à savoir la lettre à Chanut du 6 juin 1647, Éd.

de la Pléiade, pages 1277 et 1278.

Voici, dumême texte, un autre extrait, qui précède le passage commenté« Je passe maintenant à votre question, touchant les causes qui nous incitent souvent à aimer unepersonne plutôt qu'une autre, avant que nous en connaissions le mérite ; et j'en remarque deux, qui sont,l'une dans l'esprit, et l'autre dans le corps.

Mais pour celle qui n'est que dans l'esprit, elle présuppose tant dechoses touchant la nature de nos âmes que je n'oserais entreprendre de les déduire dans une lettre.

Jeparlerai seulement de celle du corps.

Elle consiste dans la disposition des parties de notre cerveau, soit quecette disposition ait été mise en lui par les objets des sens, soit par quelque autre cause.

Car les objets quitouchent nos sens meuvent par l'entremise des nerfs quelques parties de notre cerveau, et y font commecertains plis, qui se défont lorsque l'objet cesse d'agir ; mais la partie où ils ont été faits demeure par aprèsdisposée à être pliée derechef en la même façon par un autre objet qui ressemble en quelque chose auprécédent, encore qu'il ne lui ressemble pas en tout.

». »

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