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Commentez et discutez ce mot de Renan : « Ce qu'on dit de soi est toujours poésie. » ?

Publié le 20/06/2009

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Introduction. — Le scepticisme quelque peu satisfait avec lequel il considérait les opinions et les croyances de ses contemporains, Renan retendait à l'idée qu'il avait de lui-même. Témoin cette réflexion qu'il faisait dans la Préface de ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse comme pour inviter connaissance de soi et connaissance des autres le lecteur à n'accepter qu'avec réserve le contenu de ce livre : « Ce qu'on dit de soi est toujours poésie. «. Que veut-il entendre par là, et devons-nous nous rallier à son opinion ? La question vaut la peine d'être posée, car le psychologue contemporain utilise souvent les données fournies par les journaux intimes et par les mémoires analogues aux Souvenirs d'enfance et de jeunesse dans lesquels les auteurs parlent d'eux-mêmes, D'ailleurs, n'est-ce pas la valeur de l'introspection, fondement essentiel de la psychologie classique, qui semble mise en doute par Renan ? I. — Commentaire. Nous tâcherons d'abord de noter exactement et au besoin de préciser le sens des termes de l'affirmation de Renan, puis de déterminer les raisons sur lesquelles celle-ci se fonde. A. Signification. — Le sens de la pensée que nous avons à expliquer ne semble pas pouvoir prêter à confusion : dès que nous parlons de nous-mêmes, c'est le règne de la fantaisie. Mais il ne sera pas inutile de s'arrêter un peu aux deux termes de la proposition. a) Ce qu'on dit de soi, voilà, pour Renan, ce qui est poésie. L'auteur des Souvenirs d'enfance ne s'en prend donc pas, du moins directement, à l'introspection, ni même aux opinions qu'on peut avoir sur soi-même. Il ne met explicitement en doute que la valeur objective des déclarations faites par la parole ou par la plume. Faites à qui ? A soi-même aussi bien qu'aux autres sans doute, mais c'est le second cas qui est immédiatement visé par Renan : les Souvenirs, qui fuirent l'occasion de la pensée soumise à notre examen, sont destinés à l'impression; c'est à un large public que l'auteur va parler de soi; dans ce qu'il dira, il y aura inévitablement, reconnaît-il lui-même, beaucoup de poésie.

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« aveugle pour les défauts de son fils; mais si celui-ci, par ses vices, ses forfaits et son ingratitude, a provoqué enelle un sentiment de haine, il n'a pas d'ennemi plus clair voyant et plus porté à imaginer le pire.

Or, nous tenons enréalité bien plus à nous-même qu'une mère ne tient à son enfant.Il nous est impossible de parvenir au parfait désintéressement quand nous parlons de nous; nos discours tiennentalors le plus souvent du panégyrique, parfois du réquisitoire, Nous nous aimons et ne pouvons pas ne pas nousaimer; c'est pour cela que « ce qu'on dit de soi est toujours poésie ». II.

— Discussion. A.

Concessions. — Il y a un grand fond de vérité dans le mot de Renan que nous venons de commenter : le sens commun aussi bien que l'esprit critique le reconnaissent. a) Dans l'introspection, nous n'atteignons pas, ainsi que le pensaient les éclectiques, les faits psychiques eux-mêmes dans leur pureté absolue : ces faits sont construits par l'observateur à partir de données qu'il ne peutobserver dans la simplicité originelle.« La connaissance soi-disant directe est une illusion.

Ce qui nous semble direct n'est qu'une des constructions del'esprit, une invention particulière qui, comme toute invention, a une date; que nous traitons comme un « fait denature » parce que nous n'en connaissons pas l'origine ni l'histoire, comme une découverte définitive, parce qu'on l'alongtemps appliquée sans en vérifier la validité.

C'est donc seulement une création privilégiée.

» (I.

Meyerson,Discontinuités et cheminements autonomes dans l'histoire de l'esprit, art.

du Journal de psychol, juill.-sept.

1948, p.273.) b) Dans l'élaboration de notre portrait et même du tableau de notre passé, la part de la construction et de lacréation est plus apparente encore.

Il est impossible de tout voir à la fois et de tout dire : un choix est inévitable.On peut sans doute avoir la prétention ou même l'intention loyale de ne choisir que l'essentiel ou le significatif, maisle projet d'être objectif avec soi-même est chimérique sinon contradictoire : le sujet connaissant ne saurait êtrepour lui-même un objet sans cesser d'être ce qu'il est; « toute connaissance de soi est partie de son objet qu'elletransforme inévitablement, car celui qui se connaît n'est déjà plus ce qu'il était avant sa prise de conscience».

(R.Aron, Introd.

à la Philos, de l'Histoire, p.

53; Gallimard,-1938).

Faisant partie de l'objet que nous cherchons àconnaître, nous le construisons avec nos désirs et nos craintes, avec nos rêves et nos préjugés : «Chacun selonl'idée qu'il se fait de lui-même se choisit son passé.

» (Ibid., p.

58.) Il suffirait pour le prouver de montrer combienprofondément varie, suivant les circonstances et même souvent sans que nous sachions pourquoi, l'idée que chacunse fait de soi. c) A plus forte raison sommes-nous « poètes » quand nous parlons de nous-même : ce n'est pas le personnage quenous sommes que nous étalons complaisamment aux yeux d'autrui, mais celui que nous voudrions être ou du moinsparaître.Parfois, il est vrai, c'est à nous-mêmes et pour nous-mêmes que nous parlons de nous; c'est bien pour lui enparticulier que l'adolescent écrit son journal intime, qu'il a soin de bien cacher.

Mais il ne faudrait pas croire que ceque nous disons ou écrivons alors soit absolument indépendant de l'impression qu'en auraient les autres : nosmonologues se déroulent, sans que nous en ayons une conscience nette, devant un auditeur indéterminé cachédans la coulisse, ou bien ils ne sont qu'une préparation plus ou moins lointaine de ce que nous dirons éventuellementde nous quand l'occasion se présentera de nous faire valoir.

Le journal intime est encore plus -sujet à caution, carcelui qui le rédige songe inévitablement, sinon toujours, à la publication de son récit, du moins à la possibilité qu'il ade tomber entre les mains d'un autre, et surtout à l'intérêt qu'il éprouvera lui-même à le relire; par là même, il estamené inconsciemment à arranger quelque peu la réalité.

Ensuite, la tenue régulière de son journal aboutit à l'artificeet au formalisme : il faut trouver quelque chose à dire, et ce cahier, qui n'était qu'un moyen de se suivre et de seconnaître, devient une fin en soi et la réalité vécue un moyen.

« Le journal, devenu un devoir quotidien, oblige à nerien passer, sinon par faiblesse; il institue ainsi une mauvaise conscience permanente de soi à soi.

» (G.

Gusdorf, Ladécouverte de soi, P.U.F., 148.) «Je ne suis pas, je n'ai jamais été tout à fait l'homme du journal que j'écris », noteJulien Green (Journal, III, p, 149, Pion, 1946), d'où cette « envie de dédoubler ce journal, c'est-à-dire d'en tenir unautre où je mettrais tout ce que je ne puis ou tout ce que je ne veux pas mettre dans celui-ci (Ibid., p.

22).

C'estdans le roman, où il s'efface derrière ses personnages, que l'auteur se fait le mieux connaître : « Je me peindraisbeaucoup mieux en renonçant à me peindre, écrit G.

Duhamel (Remarques sur les Mémoires imaginaires, p.

34,Mercure de France, 1934), en peignant d'autres que nous », c'est-à-dire des personnes étrangères à ma famille. B.

Réserves.

— S'il faut insister sur le danger d'erreur qui menace celui qui s'observe lui-même, et surtout celui qui parle de soi, il ne faudrait pas diviser le réel en deux domaines : le moi, où tout serait « poésie » et mensonge; lenon-moi, où nous parviendrions à la certitude absolue et à l'exacte vérité. a) Il entre aussi une certaine poésie dans ce qu'on dit des autres et même des choses.Il nous suffit de lire les journaux de partis opposés pour voir qu'il y a des manières bien différentes de voir les mêmespersonnages.

Peut-être sans doute certains rédacteurs de ces feuilles ne disent-ils pas ce qu'ils pensent, maisseulement ce qui est demandé par leurs employeurs.

Mais nous trouvons une opposition analogue dans des cas oùn'apparaît aucune cause d'insincérité : ne nous arrive-t-il pas parfois de nous étonner qu'un individu que nousjugeons antipathique ait pu trouver un ami ou se faire aimer d'une femme? Nous sommes persuadés alors que celuiqui l'aime le voit en poète, mais nous pouvons être également convaincus qu'il y a beaucoup de poésie dans ce quenous pensons et disons de lui.Même opposition quand il s'agit du passé dont le sens dépend de celui qui le reconstitue.

Qu'il nous suffise de. »

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