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Bergson: Turner, Corot and Co !

Publié le 18/04/2009

Extrait du document

bergson
A quoi vise l'art, sinon à nous montrer, dans la nature et dans l'esprit, hors de nous et en nous, des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Le poète et le romancier qui expriment un état d'âme ne le créent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n'observions pas en nous, jusqu'à un certain point, ce qu'ils nous disent d'autrui. Au fur et à mesure qu'ils nous parlent, des nuances d'émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, mais qui demeuraient invisibles : telle l'image photographique qui n'a pas encore été plongée dans le bain où elle se révélera. Le poète est ce révélateur. Mais e part la fonction de l'artiste ne se montre aussi clairement que dans celui des arts qui fait la plus large part à l'imitation, je veux dire la peinture. Les grands peintres sont des hommes auxquels remonte une certaine vision des choses qui est devenue ou qui deviendra la vision de tous les hommes. Un Corot, un Turner, pour ne citer que ceux-là, ont aperçu dans la nature bien des aspects que nous ne remarquions pas. - Dira-t-on qu'ils n'ont pas vu, mais créé, qu'ils nous ont livré des produits de leur imagination, que nous adoptons leurs inventions parce qu'elles nous plaisent et que nous nous amusons simplement à regarder la nature à travers l'image que les grands peintres nous en ont tracée? - C'est vrai dans une certaine mesure ; mais, s'il en était uniquement ainsi, pourquoi dirions-nous de certaines oeuvres - celles des maîtres - qu'elles sont vraies? Où serait la différence entre le grand art et la pure fantaisie? Approfondissons ce que nous éprouvons devant un Turner ou un Corot : nous trouverons que, si nous les acceptons et les admirons, c'est que nous avions déjà perçu quelque chose de ce qu'ils nous montrent. Mais nous avions perçu sans apercevoir. C'était, pour nous, une vision brillante et évanouissante, perdue dans la foule de ces visions également brillantes, également évanouissantes, qui se recouvrent dans notre expérience usuelle (...) et qui constituent, par leur interférence réciproque, la vision pâle et décolorée que nous avons habituellement des choses. Le peintre l'a isolée ; il l'a si bien fixée sur la toile que, désormais, nous ne pourrons nous empêcher d'apercevoir dans la réalité ce qu'il y a vu lui-même. Bergson, La pensée et le mouvant

Un urinoir accroché au mur, à l'envers. Une toile toute bleue. Ou toute blanche. Ou juste une pointe de couleur. Des œuvres d'art ? ... Cent métronomes se mettant en marche simultanément et s'arrêtant lentement. Des portes qui grincent... durant 20 minutes. De la musique ? ... Un homme pendu par les pieds à une chaîne, se balançant avec une tronçonneuse, défonçant un piano à queue suspendu à ses côtés, et recevant, durant cette performance, des bassines de sang. Une représentation artistique ? ... On le dit. On parle d'art contemporain. Mais on a parfois du mal à le croire. S'agit-il vraiment d'art ? Cet homme suspendu à sa chaîne serait le nouveau Sophocle ? Duchamp, Mondrian, Soulages, les Michel-Ange de notre siècle ? Schoënberg, Boulez, Dusapin, nos Mozart ? On hésitera. Certains s'indigneront même. Les œuvres que nous venons d'évoquer ne sont en rien des œuvres d'art, diront-ils ? Il s'agit de provocation, d'abus de confiance, de dérision, mais pas d'art. Que répondre ? Force est de constater que nombreux sont ceux qui pensent différemment. Nombreux ceux qui louent l'art moderne aussi fort que l'art de la Renaissance italienne. Qui considèrent la musique de Xénakis‚ les mobiles de Calder‚ les performances, tout autant que Bach, Le Bernin‚ Anouilh. A qui donner raison dans ces conditions ? On ne sait trop. Ou plutôt, on sait que la seule solution serait de pouvoir définir l'art lui-même. Si l'on pouvait déterminer ce qui relève de l'art et ce qui n'en relève art, trouver le critère de démarcation, les débats seraient vite clos. Mais est-ce possible ? Est-il concevable que l'on réponde à la question : qu'est-ce qu'une œuvre d'art ? On en doutera probablement.  Pourtant Bergson ne recule pas devant la difficulté. C'est bien à cette question qu'il se propose de répondre dans notre texte. « A quoi vise l'art ? «, demande-t-il. Question rhétorique et quelque peu ambiguë. Mais le texte l'éclaire. Il s'agit de dire la fonction de l'art, des œuvres qu'il produit. Bergson pense que ces œuvres ont une fonction qui les distingue de tous les autres objets, une fonction qui explique qu'on ne puisse pas tout confondre.  En quoi consiste cette fonction ? La réponse proposée par Bergson peut se formuler ainsi : l'œuvre d'art a pour fonction de nous faire voir ce que nous n'apercevons pas explicitement, l'art est un révélateur.  

bergson

« Explication du texte L'art montre « des choses qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ».

Voici l'essentiel de lapremière phrase.

Phrase qui énonce la thèse du texte.

Phrase relativement énigmatique.

L'art montre « des chosesqui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ».

Que veut dire Bergson en écrivant cela ?Quelles sont exactement ces choses‚ qui ne frappaient pas explicitement nos sens et notre conscience ? Etcomment faut-il comprendre cette métaphore : « frapper nos sens et notre conscience » ? Et pourquoi cettedistinction entre « sens » et « conscience » ? Pour répondre à ces questions, la meilleure attitude à adopter estsans doute de se tourner vers la suite du texte.

Bergson y explicite en effet sa thèse en examinant d'abord l'art dupoète et du romancier (phrases 2-4) puis celui du peintre (phrases 5-6).A propos du poète et du romancier, Bergson utilise une analogie : celle du bain révélateur dans lequel on plonge lesphotos lorsqu'on les développe.

Précisons cela.

Les pellicules photographiques sont des supports couverts d'unelégère couche de sel d'argent ou de quelque autre substance.

Lorsque l'obturateur de l'appareil photo laisse entrerla lumière, une réaction chimique a lieu : les points de la pellicule les plus fortement atteints par la lumièredeviennent sombres, les moins impressionnés s'éclaircissent.

Mais l'ouverture de l'obturateur est très brève.

Lorsquel'on sort la pellicule de l'appareil, rien n'est visible.

La réaction chimique est incomplète.

C'est pour cela que l'on abesoin de développer les photos.

Dans un laboratoire, on recourt à des liquides révélateurs qui permettront à laréaction chimique de se poursuivre.

On trempe la pellicule dans un révélateur durant plusieurs minutes.

Petit à petit,l'image apparaît, en négatif.

Il reste ensuite à éliminer le liquide révélateur en lavant soigneusement la pellicule, puisà éliminer les parties de chlorure d'argent ou de la substance chimique utilisée qui n'ont pas été impressionnées.Mais la photo est d'ores et déjà développée.« Le poète est ce révélateur.

» (phrase 4) Autrement dit, le poète, ou plutôt le poème lui-même, est l'équivalent dubain révélateur.

Que sera l'équivalent de la pellicule ? Que plonge-t-on dans ce bain qu'est le poème ? Toutsimplement la conscience.

Ecouter, ou lire un poème, c'est soumettre sa conscience à l'action du poème.

Querésultera-t-il de cette action ? Qu'est-ce qui apparaîtra sous l'action du poème ? Des nuances d'émotion et depensée, répond le début de la phrase 3 : « Au fur et à mesure qu'ils nous parlent [le poète ou le romancier], desnuances d'émotion et de pensée nous apparaissent qui pouvaient être représentées en nous depuis longtemps, maisqui demeuraient invisibles.

»Voilà qui est déjà plus clair.

« A quoi vise l'art ? », demande Bergson en commençant son texte.

Autrement dit,quelle est son action ? Nous pouvons maintenant répondre : l'action de l'art, l'effet qu'il produit sur nous consiste ence qu'il fait apparaître des choses que nous avions négligées, des choses que nous avions éprouvées ou pensées,mais trop brièvement, trop faiblement pour que nous en prenions conscience.

Grâce au poème, ou au roman, nousvoyons mieux en nous.Nous voyons mieux en nous.

Ceci est important.

Il faut en effet se souvenir de la première phrase du texte : « ...montrer dans la nature et dans l'esprit, hors de nous et en nous ...

» Bergson distingue ce qui est dans la nature,c'est-à-dire hors de nous d'une part, et ce qui est dans l'esprit, c'est-à-dire, en nous, d'autre part.

Ce dont nousparle Bergson à travers l'image du bain révélateur, c'est de toute évidence de la seconde possibilité : des choses quisont dans l'esprit, qui sont en nous.

L'art, ici celui du poète ou du romancier, l'art est capable de montrer, de révélerce qui se trouve dans notre propre conscience.Mais dira-t-on, si quelque chose est dans notre conscience, nous n'avons pas besoin du poème ou du roman pouren avoir conscience : nous en avons déjà conscience.

Ou si l'on préfère, on dira : on ne peut prendre conscienceque de ce qui n'est pas dans notre conscience.

Dans ces conditions, on comprend difficilement quel est le pouvoirde l'œuvre d'art.

Que répondre ?Peut-être ceci : en écoutant un poème, nous arrêtons notre attention sur une émotion dont avions déjàconscience, sans doute, mais que nous n'avions jamais considérée pour elle-même.

Nous savions très bien qu'à telmoment de notre vie, dans telle circonstance précise, nous étions tristes.

Mais en lisant ce poème, cette tristesserevient à notre conscience, et nous la voyons autrement.

Le poème nous fait souvenir.

Il fait remonter du fond denotre mémoire des choses oubliées, et nous nous surprenons à les considérer à nouveau, mieux qu'avant, sous unautre jour.

Voilà l'action de l'œuvre.

Elle est comparable, comme le dit Bergson, à un bain révélateur.

Elle faitapparaître des choses qui n'apparaissaient pas sans lui. Reste à expliquer la deuxième phrase du texte.

Jusqu'ici nous l'avons laissé de côté car elle semble peu liée avec lathèse et les exemples pris par Bergson.

Lisons-la : « Le poète et le romancier qui expriment un état d'âme ne lecréent certes pas de toutes pièces ; ils ne seraient pas compris de nous si nous n'observions pas en nous, jusqu'àun certain point, ce qu'ils nous disent d'autrui.

» Le sens de cette phrase ne fait pas vraiment problème.

Bergsonaborde simplement le problème de l'imagination.

L'artiste ne reproduit pas forcément ce qu'il a vu ou éprouvé.Lorsque Lamartine‚ écrit dans Isolement‚ : « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé », lorsque dans le mêmepoème, il affirme : « Souvent, sur la montagne, à l'ombre du vieux chêne, coucher du soleil, tristement je m'assieds», il se peut que tout cela soit fictif, que le vieux chêne n'ait jamais existé et la douleur de l'absence non plus.L'artiste a le droit de ne pas se limiter à une imitation servile.

Mais pour que son œuvre nous touche, pour qu'elleretienne notre attention, il faut malgré tout qu'elle « parle » de quelque chose qui est commun à tout homme, il fautqu'elle s'appuie sur une expérience plus ou moins universelle.

Sinon, elle ne pourra rien nous dévoiler, elle ne pourraremplir sa fonction et alors le poème ou le tableau resteront lettre morte.Le sens de la deuxième phrase du texte ne fait donc guère problème.

Mais sa fonction est plus énigmatique.Pourquoi Bergson écrit-il cela à ce moment ? D'après la première phrase, il semble se proposer d'établir que l'art nousmontre quelque chose que nous n'apercevons pas.

Et voilà qu'il nous parle d'imagination.

Le rapport n'est pas trèsclair.. »

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