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Bergson et le langage

Publié le 10/01/2004

Extrait du document

bergson
Si [...] les fourmis, par exemple, ont un langage, les signes qui composent ce langage doivent être en nombre bien déterminé, et chacun d'eux rester invariablement attaché, une fois l'espèce constituée, à un certain objet ou à une certaine opération. Le signe est adhérent à la chose signifiée. Au contraire, dans une société humaine, la fabrication et l'action sont de forme variable, et, de plus, chaque individu doit apprendre son rôle, n'y étant pas prédestiné par sa structure. Il faut donc un langage qui permette, à tout instant, de passer de ce qu'on sait à ce qu'on ignore. Il faut un langage dont les signes - qui ne peuvent pas être en nombre infini - soient extensibles à une infinité de choses. Cette tendance du signe à se transporter d'un objet à un autre est caractéristique du langage humain. On l'observe chez le petit enfant, du jour où il commence à parler. Tout de suite, et naturellement, il étend le sens des mots qu'il apprend, profitant du rapprochement le plus accidentel ou de la plus lointaine analogie pour détacher et transporter ailleurs le signe qu'on avait attaché devant lui à un objet. " N'importe quoi peut désigner n'importe quoi ", tel est le principe latent du langage enfantin. On a eu tort de confondre cette tendance avec la faculté de généraliser. Les animaux eux-mêmes généralisent, et d'ailleurs un signe, fût-il instinctif, représente toujours, plus ou moins, un genre. Ce qui caractérise les signes du langage humain, ce n'est pas tant leur généralité que leur mobilité. Le signe instinctif est un signe adhérent, le signe intelligent est un signe mobile.
La thèse du texte est explicitement formulée dans les dernières lignes de cet extrait.  Contrairement à ce que l'on considère habituellement comme la spécificité du langage humain, à savoir la faculté à généraliser, conceptualiser, Bergson affirme que ce qui oppose le langage humain au langage animal, c'est davantage la mobilité du signe, mobilité qui appartient exclusivement au signe du langage humain.  Il oppose ainsi signe "adhérent" à signe "mobile". Si le texte aborde le langage animal, c'est pour exposer la spécificité du langage humain, qui est l'objet véritable de ce texte.

bergson

« constitue, par opposition, la spécificité du langage humain. B - La seconde partie n'est plus seulement descriptive.

Il s'agit maintenant de comprendre la spécificité du langagehumain.

Le signe humain est, lui, extensible à une infinité de chose.

Pourquoi ? Cela trouve son origine et sonexplication non dans le langage lui-même mais dans l'action, ainsi que dans la spécificité des sociétés humaines. Dans les sociétés animales, les tâches sont définies, invariantes et réparties entre les membres de l'espèce demanière nécessaire (liées à un codage génétique). Les sociétés humaines, elles, offrent une infinité de tâches sans cesse soumises à des conditions d'exercicenouvelles.

Ne serait-ce que la production, qui obéit à des contingences toujours nouvelles. A cette infinité des tâches répond également l'infinité des rôles sociaux. Rien n'est prédéterminé.

Pas de prédestination, écrit Bergson.

Tout doit être inventé.

L'homme s'inventecontinuellement dans une société qui s'invente, elle, à chaque instant.

Voilà ce qui explique (c'est-à-dire, rendnécessaire) les qualités spécifiques du langage humain.

Car l'homme doit, de ce fait, toujours apprendre, faire dunouveau, "passer de ce qu'il sait à ce qu'il ignore".

Pour cela, il faut un outil adapté. Et parce que les signes humains sont eux-mêmes en nombre fini (même si ce nombre est sans commune mesureavec le champ étroit du langage animal), ils doivent être extensibles à une infinité de choses. Sans cette souplesse, cette plasticité du langage humain, l'homme serait comme l'animal enfermé dans un universfigé de significations fermées, clos sur lui-même. Cette mobilité du signe est donc la condition du développement des sociétés humaines, elle en est l'outil. Bergson illustre ensuite cette idée de mobilité, cette capacité à "se transporter d'un objet à un autre", par l'exemplede l'enfant.

"Tout de suite, et naturellement", écrit Bergson, "l'enfant étend le sens des mots".

L'auteur insiste sur lefait que cette mobilité est bien une caractéristique naturelle et évidente, et non quelque chose de remarquable quin'interviendrait que de manière accidentelle. Cette caractéristique est le trait spécifique du langage humain et non un détail. D'emblée, l'enfant libère le lien entre le signe et la chose, pour créer, inventer d'autres liens.

Il joue avec lesanalogies (rapport entre deux termes) et s'approprie le langage, non en répétant un lien appris (entre une chose etun nom), mais en créant des liens nouveaux.

Ainsi, apprendre le langage c'est créer du langage, créer du nouveau,créer du sens. Bergson, enfin, précise que son analyse se distingue de la critique habituelle qui situe la spécificité du langage dansla capacité à "généraliser", c'est-à-dire la capacité à l'abstraction, à la conceptualisation. Bergson pointe plus précisément une confusion possible entre cette analyse "classique" et la sienne.

Conceptualisern'est pas le propre de l'homme, voilà ce qui est implicitement affirmé par Bergson. C'est dissocier le signe de la chose qui constitue cette spécificité, et non généraliser d'une chose à une série dechoses.

Un signe, même dans le langage animal, "représente toujours, plus ou moins, un genre".

Cette remarquesemble confirmée par les études réalisées à partir de l'apprentissage du langage chez les chimpanzés. "Pomme" signifie "toute pomme possible" et non seulement cette pomme-ci, jaune, présente ici et maintenant. En conclusion, Bergson oppose donc "signe adhérent" à "signe mobile", ce dernier seulement étant un signeintelligent.

En liant ainsi intelligence et mobilité, Bergson ouvre une discussion et une question que nous devonsmaintenant analyser. III - L'INTERET PHILOSOPHIQUE Ce texte présente une analyse originale du langage humain puisqu'il situe sa spécificité non dans la capacité àl'abstraction, mais dans sa "mobilité". Bergson relie langage et société : possibilité de créer du nouveau, créer qui l'on est, ce que l'on fait. Au lieu de dissocier deux plans, il montre, au contraire, le lien essentiel qui unit ces deux aspects, faisant dulangage un outil constituant des sociétés humaines et de leur mouvement. Le langage chez l'animal est un simple appendice comme le reste du corps ; chez l'homme, il est beaucoup plus quecela. En particulier, il est l'intelligence humaine, définissant ainsi l'intelligence non seulement comme la capacité à. »

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