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Arthur SCHOPENHAUER: De la scientificité de l'Histoire.

Publié le 30/03/2005

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schopenhauer
Seule l'histoire ne peut vraiment pas prendre rang au milieu des autres sciences, car elle ne peut pas se prévaloir du même avantage que les autres : ce qui lui manque en effet, c'est le caractère fondamental de la science, la subordination des faits connus dont elle ne peut nous offrir que la simple coordination. Il n'y a donc pas de système en histoire, comme dans toute autre science. L'histoire est une connaissance, sans être une science, car e part elle ne connaît le particulier par le moyen de l'universel, mais elle doit saisir immédiatement le fait individuel, et, pour ainsi dire, elle est condamnée à ramper sur le terrain de l'expérience. Les sciences réelles au contraire planent plus haut, grâce aux vastes notions qu'elles ont acquises, et qui leur permettent de dominer le particulier, d'apercevoir, du moins dans de certaines limites, la possibilité des choses comprises dans leur domaine, de se rassurer enfin aussi contre les surprises de l'avenir. Les sciences, systèmes de concepts, ne parlent jamais que des genres : l'histoire ne traite que des individus. Elle serait donc une science des individus, ce qui implique contradiction. Il s'ensuit encore que les sciences parlent toutes de ce qui est toujours, tandis que l'histoire rapporte ce qui a été une seule fois et n'existe plus jamais ensuite. De plus, si l'histoire s'occupe exclusivement du particulier et de l'individuel, qui, de sa nature, est inépuisable, elle ne parviendra qu'à une demi-connaissance toujours imparfaite. Elle doit encore se résigner à ce que chaque jour nouveau, dans sa vulgaire monotonie, lui apprenne ce qu'elle ignorait entièrement. Arthur SCHOPENHAUER (1788-1860)

Dans ce texte, Schopenhauer s'interroge sur la valeur à accorder à l'histoire : contre ses contemporains qui, au XIXe siècle, essayent de fonder l'histoire comme science véritable, Schopenhauer affirme l'impossibilité pour la connaissance historique de se constituer scientifiquement. Il ne s'agit pas d'une question de fait (l'histoire ne serait pas encore suffisamment développée pour devenir une science, comme le sont devenues la physique et la chimie), mais d'un problème de droit: l'objet qu'étudie l'historien ne peut aucunement devenir l'objet d'une science, l'histoire ne répond pas aux conditions requises pour toutes les sciences. En ce sens, si l'histoire ne peut devenir une science, c'est-à-dire être constituée en système, c'est parce qu'elle traite de l'individuel et qu'ainsi elle ne peut espérer atteindre une connaissance achevée.

schopenhauer

« quelque statut qu'on lui accorde, ne sera pas scientifique.

Avant même que Schopenhauer n'ait développé cettethèse, comprenons-en la portée.

Les sciences de la nature, qui ont connu un formidable développement depuis leXVII siècle, ont rejoint les mathématiques qui restent l'exemple même de toute science.

Le XIX e siècle est, quant àlui, celui de l'histoire, qu'on songe entre autres à Michelet et à Taine, ou à Darwin en biologie, ou encore enphilosophie à Hegel et à Marx dont les pensées se nourrissent d'une intense réflexion sur l'histoire.

La critique deSchopenhauer doit être replacée dans ce contexte, celui de la valorisation de l'histoire.

Il convient d'observer quecette critique schopenhauerienne ne vise que l'histoire toutes les autres sciences méritent leur nom, l'histoire seuledoit être exclue de leur rang (on peut cependant se demander si la position de Schopenhauer ne pourrait pas êtreétendue aux autres «sciences» humaines, dont l'histoire n'est que la première chronologiquement: la suite du textemontrera cependant que, si certains arguments de Schopenhauer peuvent valoir pour toute connaissance ayantl'homme ou les actions humaines pour objet, d'autres, et notamment celui de l'unicité dans le temps du faithistorique, valent principalement dans le cas de l'histoire). [2.

Coordination et subordination des faits.]Examinons immédiatement le premier reproche adressé par Schopenhauer à l'histoire : celle-ci ne peut subordonnerles faits connus mais seulement les coordonner.

Des faits sont subordonnés lorsque l'un d'entre eux dépend desautres ou de certains principes, lorsque ces derniers sont la condition du premier.

Il y a une hiérarchie entre les faitsqui sont enchaînés selon leur relation de cause à conséquence: la chute d'un corps est subordonnée à sa masse, àla force d'attraction terrestre, à la résistance qu'il peut rencontrer et dépend en dernière analyse de la loi de lapesanteur, du principe universel de gravitation.

Inversement, et de la même façon que l'on distingue en grammairedes propositions subordonnées (introduites par «afin que», «lorsque», «parce que», etc.) et des propositionscoordonnées (liées par «et», «mais», «or», etc.), deux faits sont coordonnés lorsque je ne puis donner la formule deleur liaison, lorsque je ne sais pas comment ils sont liés véritablement.

Des faits ainsi présents à mon esprit sont misen relation extérieurement et sont quasiment juxtaposés : lorsqu'une éruption volcanique a lieu et qu'un an plus tardles précipitations augmentent ou diminuent aux antipodes, je ne puis savoir de science sûre (la météorologiedemeurant elle aussi dans la simple probabilité) si ces faits sont subordonnés l'un à l'autre et je ne peux queconstater leur succession.

De la même façon, en histoire, je peux seulement constater qu'un événement en a suiviun autre, sans pouvoir faire de cette succession une relation de cause à effet, d'autres faits pouvant avoir eu uneinfluence et déterminé les événements sans que je puisse jamais être assuré d'avoir fait la part des choses. [3.

La science comme système.]Schopenhauer peut ainsi affirmer que l'histoire n'est pas une science en résumant ainsi sa position : l'histoire nepeut se constituer en système.

Toute science en effet est par essence systématique : les connaissances y sontdisposées en un tout et chacune dépend de toutes les autres et du tout, à la façon dont chaque membre d'unorganisme dépend de tous les autres et dont chaque partie n'existe pas séparément mais dans sa relation au toutde l'organisme.

Il y a des principes et des lois en chaque science et une organisation à partir d'une première idée quidoivent pouvoir rendre compte de l'ensemble des objets de cette science.

En histoire, rien de tout cela : on ne peuttrouver de lois suffisamment générales pour régler et déterminer l'ensemble des faits historiques qui demeurent, bongré mal gré, chaotiques.

L'exception à la loi est la loi en histoire. [II.

L'histoire comme connaissance de l'individuel.] [1.

La science et la simple connaissance.]Schopenhauer développe ensuite plus précisément les raisons qui le conduisent à condamner l'histoire commescience.

Il ne s'agit pas de lui refuser toute valeur au titre de connaissance, mais seulement de science.

L'histoireest bel et bien une connaissance.

Nous connaissons quelque chose du fait historique, cependant nous n'en avonspas la science.

Un peu plus loin, Schopenhauer précise que l'histoire «est condamnée à ramper sur le terrain del'expérience» : les connaissances que nous livre l'histoire demeurent uniquement empiriques, c'est-à-dire qu'aucunethéorie, au sens fort du terme, ne permet de rendre compte de cette expérience, de lui donner une valeuruniverselle.

S'en tenant aux simples faits, l'histoire reste une connaissance non scientifique, voire, comme nous leverrons plus loin, une «demi-connaissance».

En ce sens, l'histoire s'apparente à la connaissance ordinaire, à laconnaissance de la vie de tous les jours.

Seule l'histoire ne peut vraiment pas prendre rang au milieu des autres sciences, car elle ne peut pas se prévaloir dumême avantage que les autres : ce qui lui manque en effet, c'est le caractère fondamental de la science, lasubordination des faits connus dont elle ne peut nous offrir que la simple coordination.

Il n'y a donc pas de systèmeen histoire, comme dans toute autre science.

L'histoire est une connaissance, sans être une science, car nulle partelle ne connaît le particulier par le moyen de l'universel, mais elle doit saisir immédiatement le fait individuel, et, pourainsi dire, elle est condamnée à ramper sur le terrain de l'expérience.

Les sciences réelles au contraire planent plushaut, grâce aux vastes notions qu'elles ont acquises, et qui leur permettent de dominer le particulier, d'apercevoir,du moins dans de certaines limites, la possibilité des choses comprises dans leur domaine, de se rassurer enfin aussicontre les surprises de l'avenir.

Les sciences, systèmes de concepts, ne parlent jamais que des genres : l'histoire netraite que des individus.

Elle serait donc une science des individus, ce qui implique contradiction.

Il s'ensuit encoreque les sciences parlent toutes de ce qui est toujours, tandis que l'histoire rapporte ce qui a été une seule fois etn'existe plus jamais ensuite.

De plus, si l'histoire s'occupe exclusivement du particulier et de l'individuel, qui, de sanature, est inépuisable, elle ne parviendra qu'à une demi-connaissance toujours imparfaite.

Elle doit encore serésigner à ce que chaque jour nouveau, dans sa vulgaire monotonie, lui apprenne ce qu'elle ignorait entièrement.. »

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