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Arendt: Liberté politique

Publié le 27/02/2008

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arendt
Arendt Liberté politique Le champ où la liberté a toujours été connue, non comme un problème certes, mais comme un fait de la vie quotidienne, est le domaine politique. (...) En dépit de la grande influence que le concept d'une liberté intérieure non politique a exercée sur la tradition de la pensée, il semble qu'on puisse affirmer que l'homme ne saurait rien de la liberté intérieure s'il n'avait d'abord expérimenté une liberté qui soit une réalité tangible dans le monde. Nous prenons conscience d'abord de la liberté ou de son contraire dans notre rapport avec d'autres, non dans le commerce avec nous-mêmes. Avant de devenir un attribut de la pensée ou une qualité de la volonté, la liberté a été comprise comme le statut de l'homme libre, qui lui permettait de se déplacer, de sortir de son foyer, d'aller dans le monde et de rencontrer d'autres gens en actes et en paroles. (...) Manifestement, la liberté ne caractérise pas toute forme de rapports humains et toute espèce de communauté. Là où des hommes vivent ensemble mais ne forment pas un corps politique - par exemple, dans les sociétés tribales ou dans l'intimité du foyer - les facteurs réglant leurs actions et leur conduite ne sont pas la liberté, mais les nécessités de la vie et le souci de sa conservation. En outre, partout où le monde fait par l'homme ne devient pas scène pour l'action et la parole - par exemple dans les communautés gouvernées de manière despotique qui exilent leurs sujets dans l'étroitesse du foyer et empêchent ainsi la naissance d'une vie publique - la liberté n'a pas de réalité mondaine. Sans une vie publique politiquement garantie, il manque à la liberté l'espace mondain où faire son apparition. Certes, elle peut encore habiter le coeur des hommes comme désir, volonté, souhait ou aspiration; mais le coeur humain, nous le savons tous, est un lieu très obscur, et tout ce qui se passe dans son obscurité ne peut être désigné comme un fait démontrable. La liberté comme fait démontrable et la politique coïncident et sont relatives l'une à l'autre comme deux côtés d'une même chose. Arendt, Qu'est-ce que la liberté ?

Nous avons le sentiment intime d’être libres, et que cette propriété est partagée par tous les êtres humains. Mais un sentiment ne garantit pas la certitude objective de son objet. De plus, il semble qu’aucun démonstration ne puisse nous offrir la preuve rigoureuse de l’existence d’une liberté humaine. Doit-on alors douter de cette liberté, au sens où elle ne serait peut-être qu’une illusion subjective? Nous nous croirions libres alors que tous nos actes sont en réalités déterminés aussi nécessairement que le mouvement de tous les corps naturels.

Dans ce texte Hannah Arendt réaffirme l’effectivité de notre liberté. Pour cela, elle ne fonde pas son affirmation sur une évidence intime toujours soumise au doute, mais sur un fait objectif et constatable par tous, susceptible donc d’avoir la légitimité d’une preuve: l’existence du champ politique. En effet, la thèse de cette extrait est nous connaissons notre liberté, non pas par un sentiment intérieur, mais par l’existence de la politique.

En quoi le fait politique est-il donc intimement corrélé à la liberté humaine?

La réponse à cette question mêle deux enjeux. D’abord celui du statut de notre liberté: redéfinir la manière dont nous connaissons notre liberté a des implications sur la manière dont nous devons concevoir sa nature. En effet, si la liberté se connaît avant tout par son exercice au sein du politique alors elle ne peut plus être une « liberté intérieure «, mais un pouvoir d’agir effectivement dans le monde. Ensuite, quant à la définition et aux enjeux de la politique elle-même: toute association humaine ne constitue pas une association politique, mais uniquement celles au sein desquelles émerge une sphère publique d’exercice de notre liberté.

La démarche argumentative suivie dans notre extrait se divise en différents moments:

Dans un premier temps (de « Le champ où la liberté « à « en actes et en paroles «), Arendt s’oppose à une conception cartésienne de la liberté comme « liberté intérieure « pour affirmer sa nature essentiellement politique, et ce en s’appuyant sur la manière dont celle-ci s’offre à notre connaissance.

Dans une seconde partie (de « Manifestement « à « où faire son apparition «), elle développe les conséquences de sa thèse sur la définition de ce qu’est la politique elle-même: seules peuvent être dites « politiques « les associations qui promeuvent la liberté. 

Enfin, dans la dernière partie du texte, Arendt explicite les enjeux épistémologiques de sa thèse: si la liberté devait être d’abord connue comme « liberté intérieure «, nous ne pourrions jamais affirmer avec certitude son existence.  La conception de la liberté comme liberté essentiellement politique en fait au contraire un fait « démontrable «.

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« l'intersubjectivité qui définit le politique.

De même, elle ne saurait être assimilée à une propriété toute « intérieure ».Une liberté qui n'aurait aucune effectivité à l'extérieur de la conscience devient impensable: « Avant de devenir unattribut de la pensée ou une qualité de la volonté, la liberté a été comprise comme le statut de l'homme libre » (paropposition au statut de l‘esclave, en référence à la société athénienne).

Le « statut » d'un homme correspond à laplace dont il dispose dans la société ainsi qu'aux pouvoirs qui lui sont associés et qui sont reconnus par tous.

Ils'agit donc d'un terme essentiellement politique.

Il s'oppose à l' « attribut de la pensée » et à la « qualité de lavolonté »: il ne s'agit plus d'une propriété interne à la conscience, mais d'une propriété de l'homme au sein dumonde.

La liberté est donc d'abord une capacité réelle d'agir dans le monde: « de se déplacer, de sortir de sonfoyer, d'aller dans le monde et de rencontrer d'autres gens en actes et en paroles ».

Notons que cette énumérationd'exemples reprend des opérations qui sont l'objet de droits, confirmation qu'il n'existe aucune liberté sans politique.

Transition: Dans cette première partie, Arendt a donc opérer un double renversement par rapport à la tradition cartésienne.D'abord la liberté n'est pas d'abord connue par un sentiment intérieure, mais par l'expérience de son effectivité dansle monde.

Ensuite et corrélativement, elle n'est pas d'abord une propriété de la volonté, mais une capacité d'actionessentiellement incarnée.

Dans un second temps, elle montre les implications de sa thèse sur la définition de lapolitique.

II) Il n'y a de politique que là où l'association humaine créer un espace publique de liberté de paroles et degestes.

- Ce second paragraphe commence par le constat (« Manifestement ») que « la liberté ne caractérise pas touteforme de rapport humains et toute espèce de communauté ».

Deux exemple de communautés sont donnés à cetitre: « les sociétés tribales » et « l'intimité familiale ».

Pourquoi la liberté ne les caractérise-t-elle pas? Ce n'est pasqu'elle en soit absolument absente (nous pouvons être libre au sein de la famille), mais c'est qu'elle ne leur est pasessentielle car elle n'en est pas le but: « les facteurs réglant leurs actions et leur conduite ne sont pas la liberté,mais les nécessité de la vie et le souci de sa conservation ».

Ces associations sont donc « économiques » au senspremier du terme, c'est-à-dire: qui concerne l'entretien des besoins vitaux, qui a lieu au foyer par opposition à cequi à lieu sur la place publique.

Arendt affirme de ces communautés qu'elles ne sont « pas un corps politique ».

Acontrario nous pouvons en déduire une caractérisation de l'association spécifiquement politique: elle n'a pas en vuela satisfaction de besoins vitaux, mais la mise en place de la liberté.

Toute association ayant une autre fin que laliberté de ses membres ne peut être qualifiée de politique.- En conséquence, sont exclues de cette catégorie de nombreuses formes d'associations, dont certaines que nousavons l'habitude de concevoir comme des formes de politique, même si nous les dévaluons.

Les sociétés ne sontpas politiques « partout où le monde fait par l'homme ne devient pas scène pour l'action et la parole », c'est-à-direpartout où ne se créer pas cet espace propre à l'exercice de la liberté.

L'emploi du terme « scène » est important:nous sommes sur une scène face à un public, et c'est ce caractère public qui définit la scène.

L'action et la parolene sont donc libres que si elles peuvent être publiques.

Agir et parler en privé n'a aucune effectivité sur le monde etne suffit pas à constituer une véritable liberté.

Par conséquent, là où cette scène n'existe pas, « la liberté n'a pasde réalité mondaine ».

Si la politique se définit par une promotion de la liberté, elle se définit donc de manièreéquivalente par « la naissance d'une vie publique ».

Arendt illustre ensuite son propos par un exemple qui peutsembler étonnant: « par exemple dans les communautés despotiques qui exilent leurs sujets dans l'étroitesse dufoyer ».

Le despotisme, d'abord, n'est donc pas un mauvais régime politique: il n'est pas une politique du tout.Ensuite, le despotisme n'est pas désigné par sa violence ou par l'arbitraire de ses lois, mais simplement pas le faitqu'il « exile le sujet dans l'étroitesse du foyer ».

En effet, toutes les associations qui n'impliquent pas leurs membresdans la vie publique et les confinent à leurs affaires privées ne leur offrent pas l'espace nécessaire à une véritableliberté.

Elles ne constituent donc pas des associations politiques.

On peut penser à la tyrannie ou totalitarisme,mais à l'extrême, une société absolument libérale qui ne demande à chacun que de s'occuper de son intérêt propredevrait elle aussi être rangée dans cette catégorie.

(C'est d'ailleurs la thèse de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique : il y montre comment une société libérale peut dégénérer en un nouveau genre de totalitarisme, d'autant plus dangereux qu'il est agréable pour les citoyens.) Transition: Dans cette seconde partie, Arendt a montré toute les implications de sa thèse sur la définition du politique: uneassociation n'est politique que si elle créer l'espace publique sans laquelle la liberté n'a aucun espace mondain oùs'incarner.

Dans un troisième temps, elle confirme sa thèse à l'aide d'un argument de type épistémologique: aucunautre genre de liberté ne pourrait être démontrée.

III) La seule liberté démontrable est la liberté politique: - Cette partie s'ouvre sur une modalité concessive: « Certes, elle peut encore habiter le cœur des hommes commedésir, volonté, souhait ou aspiration ».

Arendt ne veut donc pas dire qu'il n'existe aucune autre sorte de liberté quela liberté politique.

Rien ne permet d'affirmer avec certitude que la « liberté » intérieure de Descartes n'existe pasindépendamment de l'instauration de toute sphère publique.

Mais rien ne permet non plus de démontrer qu'elleexiste.

C'est à ce niveau que se situe l'argument.

En effet « le cœur humain, nous le savons tous, est un lieu trèsobscure et tout ce qui se passe dans son obscurité ne peut être désigné comme un fait démontrable ».

Le terme de« coeur » désigne ici la subjectivité dans son intimité, et peut donc être considéré comme équivalent à celui de. »

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