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Analyse complète de VOYELLES d'Arthur Rimbaud.

Publié le 12/10/2009

Extrait du document

rimbaud

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,

Je dirai quelque jour vos naissances latentes :

A, noir corset velu des mouches éclatantes

Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

 

Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,

Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;

I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles

Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

 

U, cycles, vibrements divins des mers virides,

Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides

Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

 

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,

Silence traversés des Mondes et des Anges :

- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -

 

A. Rimbaud

Ce sonnet a été écrit avant la rencontre de Verlaine et de Rimbaud en 1871. On sait comment le jeune poète échoua ensuite dans la conquête de la gloire : introduit par Verlaine dans les cercles littéraires, il les scandalisa par son sans-gêne et son irrespect pour les réputations établies. La mode étant alors au Parnasse, les écrivains ne virent dans ses œuvres qu'un romantisme anarchique et décadent ; cependant Rimbaud avait déjà rompu non seulement avec le romantisme, mais encore avec le Parnasse, pour entrer dans le domaine de la vision pure. Ses lettres à son professeur G. Izambard et à son ami le poète Paul Démeny rejettent toutes les formes antérieures de la poésie et déterminent les caractéristiques du Poète-Voyant. Voyelles, comme les Chercheuses de Poux, Quatrain et le Bateau ivre appartiennent à la même période, où le poète reste encore fidèle au vers, tout en le libérant des entraves de la raison.    Nous avons donné ici. le texte de l'édition critique des Poésies de Rimbaud, publiée au Mercure de France, en 1947, par M. H. de Bouillane de Lacoste, qui reproduit la version donnée par Rimbaud lui-même au poète Emile Blémont, lors de son séjour à Paris. Ce texte représente donc la forme achevée du poème, qui a subi plusieurs transformations.  Il existe, en effet, plusieurs manuscrits de Voyelles :    ♦ Le poème envoyé de Charleville à Verlaine, et qui s'est égaré.  ♦ La copie qu'en fit Verlaine, et qu'il inséra dans un cahier de poèmes de Rimbaud, qu'il publia ensuite dans la revue Lutèce, en 1883.  ♦ L'exemplaire donné à Emile Blémont, conservé aujourd'hui à la Maison de la Poésie.  Les diverses éditions de Voyelles présentent des versions assez différentes.

rimbaud

« et noires au lieu de la féerie espérée.

De nos jours, sans doute aurait-il recours aux narcotiques chimiques et à lanarco-analyse pour puiser dans son subconscient des visions refoulées.La sensibilité du poète des Voyelles est donc infiniment plus complexe que celle de l'enfant qui épelait l'abécédaire;elle est la pièce maîtresse d'un système poétique, où selon le principe baudelairien des Correspondances, lesparfums, les couleurs et les sons se répondent.

Aux impressions directes de l'enfant s'ajoutent en surimpression lesimages créées par le Voyant. Pour exprimer la vision, le vocabulaire et la syntaxe d'une langue dominée par la raison sont insuffisants ; il faut uninstrument nouveau, des mots que les générations successives n'aient pas émoussés au cours des siècles, uneconstruction fluide laissant aux images tout leur éclat, une langue riche et docile capable de s'adapterinstantanément à chaque décor de la féerie ...

un verbe accessible à tous les sens, qui serait de l'âme pour l'âme,résumant tout, parfums, couleurs, sons {l'Alchimie du verbe).

Les formes traditionnelles de la poésie et leurs règlesrestaurées et renforcées par le Parnasse sont éliminées.

Rimbaud n'hésite pas à recommander à Paul Démeny debrûler tous les vers qu'il lui a donnés antérieurement à la découverte de sa nouvelle poétique.

Il disloque la phrase,subordonne la place des mots à l'effet cherché, invente des termes nouveaux, passe sans cesse du concret àl'abstrait; les choses sont douées de sentiments; les sentiments, de formes, de couleurs et de parfums : Lesinventions d'inconnu réclament des formes nouvelles.

(Lettre à Paul Démeny) Une telle conception de la poésie supprime les métaphores, qui comportent nécessairement un lien logique ; lepoème est composé par une juxtaposition d'images indépendantes les unes des autres, mais qui convergent versune impression déterminée.

Le cinéma, beaucoup mieux que l'analyse littéraire, peut, par la variété des coloris, lamobilité des images et la richesse des ondes sonores, donner un aperçu de la poétique de Rimbaud.

Pour prendre unexemple familier, les visions de Dumbo ivre, avec leurs formes changeantes, leurs couleurs irréelles, leurenchevêtrement imprévisible, appartiennent à la même recherche de l'inconnu que le Quatrain de Rimbaud : L'étoile a fleuré rose au cœur de tes oreilles,L'infini roulé blanc de la nuque à tes reins;La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles,Et l'homme saigné noir à ton flanc souverain... Quelles sont les visions inspirées au poète par la noirceur de l'A? La première est celle d'un essaim de mouchesnoires, aussi horribles que les araignées du spleen baudelairien et sœurs de celles qui voltigent au-dessus de lacharogne infâme.

Bien que Rimbaud prétende rejeter toute emprise littéraire, il admire trop Baudelaire pour qu'il n'yait pas ici un souvenir, peut-être involontaire, de la pièce réaliste de son Dieu : Les mouches bourdonnaient sur ceventre putride {La Charogne).

Cependant l'image de Baudelaire est terne et banale en comparaison de celle deRimbaud : le noir corselet velu suggère aux mains le contact immonde des poils de l'insecte, éclatantes traduitl'impression visuelle en même temps que le bruit, repris et amplifié par le verbe bombinent1, inventé toutspécialement par le poète pour exprimer à la fois le bourdonnement et l'agitation des mouches.

Rimbaud avait déjàemployé ce verbe expressif dans la pièce Les mains de Jeanne-Marie : Mains chasseresses des diptèresDont bombinent tes bleuisons. Les parfums ne manquent pas à cette évocation.

Est-ce encore l'influence de la Charogne de Baudelaire, ou lesouvenir des sensations agréables que lui produisaient, dans son enfance, les fortes odeurs et qu'il a rappelées avecinsistance dans les Poètes de sept ans? Surtout, vaincu, stupide, il était entêtéA se renfermer dans la fraîcheur des latrines :Il pensait là, tranquille et livrant ses narines... Toujours est-il que la voyelle A a suscité l'attention de tous ses sens, toucher, vue, ouïe et odorat.

Le maître dePhilosophie de M.

Jourdain ne songeait pas à une telle faculté d'évocation ! A cette sombre vision que reprend en rejet Golfe d'ombre s'oppose la blancheur de la voyelle E, contraste semblableà celui que le poète éprouvait en contemplant la succession des lunes noires et blanches.

Pour exprimer ce blancéclatant, Rimbaud a choisi le mot abstrait candeur en lui rendant son sens latin, montrant ainsi combien la pratiquedes vers latins a pu enrichir son vocabulaire.

De même, les mers seront qualifiées de virides, du latin viridis, moinsusé que vert.La couleur blanche évoque une suite de choses à laquelle elle est automatiquement liée : les tentes d'un camp, lesglaciers hérissés d'aiguilles, les fleurs des ombellifères ; mais la vision ne se limite pas à des formes colorées; celles-ci à leur tour suggèrent de nouvelles images : les tentes appellent la lance des glaciers.

Faut-il personnifier ceux-ciet leur attribuer l'orgueil des rois armés de la lance ? Doit-on comprendre fier au sens latin de férus, cruel ? Faut-ilconsidérer rois blancs comme une apposition qualifiant glaciers fiers ? Les images se trouveraient ainsi reliées parune association d'idées accessible à la raison, mais c'est peut-être introduire la logique là où elle n'a que faire.

Roisblancs n'est pas nécessairement rattaché à glaciers fiers par autre chose que la couleur blanche; or cette couleurblanche peut être celle de l'hermine du manteau royal.Le texte du manuscrit, choisi par M.

Beck, Lances de glaçons fiers, rais blancs offre des images plus simples : lesglaçons en forme de fer de lance émettent des rayons lumineux, les rais blancs, mais le poète semble avoir renoncé. »

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