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Alain: Science et Technique

Publié le 12/04/2005

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J'appelle technique ce genre de pensée qui s'exerce sur l'action même, et s'inscrit par de continuels essais et tâtonnements. Comme on voit qu'un homme même ignorant à force d'user d'un mécanisme, de le toucher et pratiquer de toutes les manières et dans toutes les conditions, finit par le connaître d'une certaine manière, et tout à fait autrement que celui qui s'est d'abord instruit par la science; et la grande différence entre ces deux hommes, c'est que le technicien ne distingue point l'essentiel de l'accidentel ; tout est égal pour lui, et il n'y a que le succès qui compte. Ainsi le paysan peut se moquer d'un agronome; non que le paysan sache ou seulement soupçonne pourquoi l'engrais chimique, ou le nouvel assolement, ou un labourage plus profond n'ont point donné ce qu'on attendait; seulement, par une longue pratique, il a réglé toutes les actions de culture sur de petites différences qu'il ne connaît point, mais dont pourtant il tient compte, et que l'agronome ne peut pas même soupçonner. Quel est donc le propre de cette pensée technique? C'est qu'elle essaie avec les mains au lieu de chercher par la réflexion. Alain

On dissocie depuis si longtemps travail manuel et travail intellectuel qu'on finit par oublier qu'on a fait du feu avant de savoir ce qu'était en théorie le feu, qu'on a construit des digues, creusé des fossés et bâti des maisons bien avant d'en connaître les principes mathématiques. Mais peut-on légitimement admettre l'antériorité de la pensée technique ? Le texte d'Alain nous place face à cette question.    Pensée technique et pensée théorique    • La pensée technique est liée à l'activité : c'est l'action qui la déclenche et qui constitue sa méthode. C'est pourquoi elle procède par « essais et tâtonnements «, c'est-à-dire empiriquement. La réussite suffit à satisfaire le technicien (le paysan). L'esprit empirique n'est intéressé ni par l'essentiel, ni par l'accidentel, mais par l'efficacité. Peu lui importe la réelle relation causale en oeuvre.    • Au contraire, la pensée théorique abstraite reste indifférente aux apparences et aux manipulations. Elle s'instruit par l'expérience qui, à partir d'une hypothèse, élabore un raisonnement déductif et cherche à saisir les relations de causalité. Elle suppose qu'une loi universelle existe derrière tout phénomène.

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« • Elle est liée à l'action (à l'activité): c'est l'action qui la déclenche, et qui constitue sa «méthode».• Elle procède en effet par essais et erreurs, par manipulations.

Les tâtonnements successifs déterminent un savoirempirique: je deviens capable d'utiliser un objet (par exemple mon poste de télévision) sans en connaître lefonctionnement, mais cela suffit pour ma satisfaction.• Car l'empirisme n'est sensible qu'au « succès ».

On vise un résultat et pourvu qu'il soit atteint, on ne se soucie pasde savoir comment il est atteint.• D'où la confusion entre «l'essentiel et l'accidentel»: l'esprit empirique peut prendre pour cause ce qui n'est qu'uneffet intermédiaire.

Il est attentif au détail qui lui paraît « significatif», mais peut ignorer la relation causale qui estvraiment à l'oeuvre. II.

Qu'est-ce que la théorie? • Par opposition à la «pensée technique», la pensée théorique est abstraite, donc indifférente aux apparences etaux manipulations.• Elle s'instruit par l'expérience, qui n'est pas une suite d'essais et d'erreurs, mais est organisée par un schémaexplicatif préalable (l'hypothèse).• Elle cherche à saisir les relations de causalité : d'où une hiérarchie minimale (les causes, les effets; l'essentiel etl'accidentel) introduite dans les aspects du phénomène, et la traduction de ce dernier en concepts généraux.Derrière tout phénomène, elle suppose une loi (pour la pensée technique, il n'y a qu'une habitude).

C'est pourquoi lapensée théorique est universaliste: elle n'est pas liée à une situation particulière et trouvera des applicationspartout. III.

Références philosophiques possibles • Ce que dit ici Alain peut évoquer la différence établie par Platon entre l'«opinion vraie» et la science: la premièrepeut réussir, mais elle est comme les statues de Dédale, si on ne l'enchaîne pas, elle risque de nous échapper.

Carl'opinion vraie (ou la pensée technique) n'est pas fixée, elle manque de « chaînes», c'est-à-dire que lui fait défaut laconnaissance de l'enchaînement des causes et des effets qui fonde l'explication rationnelle.• On peut aussi rappeler la différence établie par Bergson entre homo faber et homo sapiens.• Bergson affirme une antériorité du premier sur le second, Alain serait-il du même avis? Doit-on, plus généralement,l'admettre? IV.

Antériorité de la pensée technique • L'exemple même fourni par Alain va dans ce sens: il est indéniable qu'il a existé des paysans bien avant l'apparitiondes agronomes!• Cette antériorité se répète chez tout individu : l'enfant équilibre ses cubes par tâtonnements, sans se préoccuperd'en calculer le poids, le volume, les poussées, etc.

Et l'on sait (cf.

les études de Piaget) que l'accès à la penséeabstraite n'est pas immédiat.• Cette antériorité peut être affirmée à propos de disciplines dont a disparu tout aspect empirique — et notammentdes mathématiques : avant l'intervention de la démonstration et des définitions a priori chez les mathématiciensgrecs, il a existé une période « pré-mathématique (Assyrie, Égypte), où furent établies des connaissancesempiriques sur les figures (la géométrie) ou les nombres. CONCLUSION Des pré-mathématiques aux mathématiques, il y a solution de continuité, et non évolution progressive.

De même, lepassage de la « pensée technique» à la réflexion théorique suppose une véritable conversion intellectuelle — à partirde laquelle toute référence à l'empirique sera considérée avec la plus grande méfiance. Le support de l'étude est un article d' Alain traitant de la pensée technicienne. J'appelle technique ce genre de pensée qui s'exerce sur l'action même, et s'instruit par de continuels essais ettâtonnements.

Comme on voit qu'un homme même très ignorant à force d'user d'un mécanisme, de le toucher etpratiquer de toutes les manières et dans toutes les conditions, finit par le connaître d'une certaine manière, et toutà fait autrement que celui qui en aurait d'abord la science; et la grande différence entre ces deux hommes, c'estque le technicien ne distingue point l'essentiel de l'accidentel; tout est égal pour lui, et il n'y a que le succès quicompte.

Ainsi un paysan peut se moquer d'un agronome; non que le paysan sache ou seulement soupçonnepourquoi l'engrais chimique, ou le nouvel assolement, ou un labourage plus profond n'ont point donné ce qu'onattendait; seulement, par une longue pratique, il a réglé toutes les actions de c ulture sur des petites différencesqu'il ne connaît point mais dont pourtant il tient compte, et que l'agronome ne peut pas même soupçonner.

Quel estdonc le propre de cette pensée technicienne? C'est qu'elle essaie avec les mains au lieu de chercher par la réflexion. Quel est la thèse de l'auteur et par quelle argumentation la défend-il ? Par cet article, issu du recueil les Propos, Alain a voulu nous montrer que la technique permettait d'acquérir. »

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