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Alain et la notion de justice

Publié le 13/04/2005

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alain
Quelle étonnante ambiguïté dans la notion de Justice. Cela vient sans doute principalement de ce que le même mot s'emploie pour désigner la Justice Distributive et la Justice Mutuelle. Or ces deux fonctions se ressemblent si peu, que la première enferme l'inégalité, et la seconde l'égalité. Je fais un marché avec un autre homme ; et avant de conclure, je m'occupe à rechercher s'il n'y a point quelque inégalité entre nous, qui le détermine à faire contrat avec moi. Par exemple, si, au sujet du cheval que je lui vends, il ignore quelque chose que moi je sais, je dois l'instruire avant qu'il signe. Égalité ; justice mutuelle. Je suis membre d'un jury pour les chevaux ; j'ai à dire quel est l'éleveur qui mérite la récompense ; je la lui donne. Inégalité ; justice distributive. J'enseigne les mathématiques. J'ai en face de moi des enfants que je juge également dignes d'être instruits, quoiqu'ils n'aient pas tous les mêmes aptitudes. (...) Je travaille à les rendre égaux, et je les traite tous comme mes égaux, malgré la nature, malgré les antécédents, contre les dures nécessités. Égalité ; justice mutuelle. J'examine des candidats pour l'École polytechnique. (...) J'ai de bons postes à donner, mais en petit nombre. Aux plus forts. Et je donne des rangs. Inégalité ; justice distributive. Un juge siège comme arbitre dans un procès au civil. (...) Si l'un des contractants est évidemment naïf, ignorant ou pauvre d'esprit, le juge annule ou redresse le contrat. Égalité ; justice mutuelle. Ici le pouvoir du juge n'est que pour établir l'égalité. Le même juge, le lendemain, siège comme gardien de l'ordre et punisseur. Il pèse les actes, la sagesse, l'intention, la responsabilité de chacun ; il pardonne à l'un ; il écrase et annule l'autre, selon le démérite. Inégalité ; justice distributive. Les deux fonctions sont nécessaires. Mais il me semble que la Justice Distributive a pour objet l'ordre et n'est qu'un moyen ; tandis que la Justice Mutuelle est par elle-même un idéal, c'est-à-dire une fin pour toute volonté droite. Le vrai nom de la première serait Police ; et le beau nom de Justice ne conviendrait qu' à l'autre. Alain

éléments de réflexion •    Alain reprend ici la distinction thomiste entre justice distributive et justice commutative (cf. Sum. Theol. IIa, 60,1) que saint Thomas tire lui-même de la distinction aristotélicienne entre justice distributive et justice rectifica¬tive (cf. Éthique à Nicomaque, V). —    La justice commutative (mutuelle) préside aux échanges de personne à personne. —    La justice distributive préside à la répartition des biens ou des dignités. •    Si la justice commutative est fondée sur l'égalité arithméti¬que, la justice distributive l'est plutôt, selon la formule d'Aristote, sur une proportion géométrique. Ainsi qu'elle soit proportionnelle ou arithmétique la relation que la justice se propose d'établir n'est-elle pas toujours une relation d'égalité (cf. St Thomas, Sum. Theol. IIa, IIae, 61 ad Resp.) ? Que faut-il donc penser de la remarque d'Alain : « Ces deux fonctions... l'égalité ? « •    En quoi la justice mutuelle est-elle un idéal ? N'est-elle pas également un moyen qui a pour objet un ordre ?

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